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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/902

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MA COUSINE JANE




I[1].

Quand ma cousine vint, un beau matin, me dire du petit air gauche qui lui était particulier : — Cousin William, M. Forbes a demandé ma main, et j’ai dit oui, — je pensai qu’il fallait que je fusse un bien vieux cousin, un cousin ne comptant plus du tout aux yeux d’une jeune fille, pour qu’on me jugeât digne de recevoir le premier une pareille confidence.

Cette nouvelle me fit plaisir et chagrin tout à la fois : plaisir par la raison qu’il s’agissait d’un excellent parti ; chagrin parce que je songeai que M. Forbes allait emmener notre Jane.

Ce que c’est que l’égoïsme !

Jamais je n’aurais eu l’idée de l’épouser moi-même ; cependant il me déplaisait qu’un autre l’épousât ! Je dois dire à ma louange toutefois que le plaisir surpassa le chagrin ; aussi fut-ce très sincèrement que je félicitai ma petite cousine de sa bonne fortune. C’en était une en effet. M. Forbes, quoique veuf, ne comptait pas encore trente ans ; il avait bonne mine et pouvait passer pour un homme accompli. Il était riche, il habitait à proximité de Londres une résidence charmante ; bref, c’était un mari à ne pas dédaigner, pour Jane surtout, qui ne possédait ni sou ni maille et qui devait à la générosité de mon père jusqu’à la petite robe qu’elle portait.

  1. Cette nouvelle est tirée du joli recueil intitulé Forget-me-nots publié récemment après la mort de son auteur, miss Kavanagh, un romancier anglais de beaucoup de talent et très sympathique à la France, qui garde son tombeau. Nous pensons, en publiant ces quelques pages, inspirer au lecteur le désir de connaître le reste d’une œuvre remarquable par le plus délicat parfum de grâce et de pureté.