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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 34.djvu/914

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Pourquoi ? La belle question !

Dans l’après-midi, du reste, l’enfant revenait gai, dispos, plein d’entrain, et le père semblait tout fier de l’avoir possédé à lui seul pendant une demi-journée.

— Il ne s’est pas ennuyé ! dit-il à la belle-mère d’un air triomphant.

Le reste du jour se passa bien ; mais le lendemain matin, l’enfant, en se réveillant, se plaignit d’un malaise ; quand son père rentra, le soir, l’indisposition avait pris déjà les proportions d’une vraie maladie, et bientôt on put reconnaître les symptômes de la variole. Ce fut moi qui avertis M. Forbes. Je le vis chanceler sous le coup. Il venait d’apprendre que cette affection régnait à l’état d’épidémie dans la ville, et c’était lui qui y avait conduit son enfant ! Il l’avait exposé de gaîté de cœur à la contagion, à la mort peut-être.

— Que rien me pardonne ! s’écria-t-il éperdu ; puis il ajouta aussitôt : — Jane a-t-elle déjà eu cette maladie ?

— Jamais, répondis-je.

— Alors il faut l’éloigner, reprit-il vivement, il le faut. — Et il courut à la chambre de son fils, où Jane était assise près du lit, tenant la main du petit malade dans la sienne. M. Forbes marcha droit à elle, en proie à une violente agitation. A peine put-il articuler quelques mots.

— Jane, dit-il sans oser regarder l’enfant, retirez-vous, je vous en prie... Vous n’avez pas eu la petite vérole ; vous ne pouvez rester ici.

— Me donneriez-vous ce conseil si j’étais sa mère ? riposta la jeune femme.

— Vous n’avez pas le droit de risquer votre vie, reprit son mari d’un ton suppliant. Moi j’ai déjà passé par là, votre cousin aussi.

— Il faut vous dire que moi, le cousin William, le cousin sans conséquence, je suis horriblement grêlé. — Nous ne courons aucun risque, nous autres, tandis que vous en courez beaucoup.

— Moi, des risques ? prononça Jane avec une sanglante ironie qui la transfigura. De quels risques voulez-vous parler ?.. Ma vie peut-être ? Est-elle donc si précieuse ? Et s’il m’arrivait d’être défigurée, croyez-vous vraiment que mon sort en deviendrait pire ? Il ne trouva pas un mot à répondre.

— J’ai obtenu, j’ai gagné l’affection de cet enfant, reprit Jane, se retournant vers la couchette, et rien, rien au monde, entendez-vous, ne me décidera à l’abandonner.

Plus un mot ne fut échangé. Arthur geignait sur son lit, ayant Jane d’un côté et son père de l’autre.