moins de dérogations à la loi qu’on ne le suppose souvent en Occident. Les lois même admettent les châtimens corporels en quelques cas exceptionnels; à l’armée par exemple, dans les compagnies de discipline, ou encore dans les prisons lorsque l’insubordination contraint l’autorité à recourir à cet argument suprême. Sous ce rapport, la Russie ne fait guère autre chose que ce que font d’autres états de l’Europe, l’Angleterre notamment. Ce qui ne se voit que chez elle, car il serait injuste de lui comparer la Turquie, c’est l’emploi arbitraire de moyens de correction légalement interdits envers des personnes que la loi en exempte expressément. L’on ne saurait nier en effet que jusqu’en ces dernières années il s’est présenté quelques cas de ce genre, surtout dans les provinces reculées où l’autorité a quelque peine à faire respecter les lois même par ceux qui ont la charge de veiller à leur exécution.
Dans certaines localités, la police s’est parfois fait peu de scrupule d’appliquer elle-même aux moujiks les verges que la loi tolère dans leurs modestes tribunaux. Un procès récent a dans le centre même de l’empire, dans le gouvernement de Riazane, révélé au public et au pouvoir des faits de ce genre, accompagnés de circonstances qui leur donnaient une gravité particulière. Il s’agissait d’un agent de police appelé, croyons-nous, Popof, qui, spécialement pour hâter la rentrée des contributions en retard, avait l’habitude de faire fustiger les paysans, sans égard pour leur âge ou leur faiblesse. Afin de donner plus d’efficacité à ce procédé renouvelé du temps de Nicolas, ce Popof y avait apporté quelques ingénieux perfectionnemens; il se servait de verges brûlantes chauffées à cet effet dans un poêle, ou encore de verges trempées dans un bain d’eau salée ou enduites à dessein d’une couche de sel. Par un autre raffinement, il coupait d’ordinaire l’exécution du patient en plusieurs séances successives, de façon que les verges lui fussent plus sensibles. Ce fonctionnaire trop zélé, traduit en jugement il y a quelques mois, a été cette année même reconnu coupable par le jury. Si la peine qui lui a été infligée par le tribunal, trois mois de prison, nous semble bien légère pour un tel délit, cela suffit pour montrer aux paysans qu’ils ne sont plus tenus de se laisser sans mot dire fouetter ou bâtonner par le moindre fonctionnaire et qu’au besoin ils peuvent trouver les tribunaux pour punir, si ce n’est pour prévenir, les violences dont ils sont victimes. Autrefois de pareilles causes n’eussent jamais été soumises aux tribunaux ordinaires ni de pareils faits livrés à la publicité de la presse.
Dans les régions écartées ou au fond des campagnes, quelques violences isolées et ignorées n’auraient pas de quoi beaucoup nous surprendre; mais on a signalé des illégalités de cette sorte jusque