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dans les grandes villes, dans la capitale même, en des circonstances qui ont donné à cette infraction aux lois un grand retentissement en Russie et à l’étranger. Je citerai deux cas de ce genre, les deux plus notables, en dehors du moins des anciennes provinces polonaises qui toujours soumises à un régime d’exception, privées d’assemblées provinciales et de presse indépendante, demeurent particulièrement exposées aux abus de toute sorte[1]. Quelques années avant la dernière guerre d’Orient, la police d’Odessa, sans doute encore imbue des anciens usages, imaginait de faire entrer dans la ville des voitures chargées de verges, et à l’aide de cette provision, des agens ivres faisaient une exécution publique, frappant dans les rues tout ce qui se rencontrait sous leur main, hommes, femmes et enfans. Un fait plus récent et d’une plus grande notoriété quoique en réalité d’une moindre gravité, c’est celui qui a donné lieu à l’attentat et au procès de Vêra Zasoulitch en 1878. Ici, nous ne le dissimulerons pas, l’opinion européenne nous paraît s’être quelque peu méprise dans son appréciation des agissemens de la police pétersbourgeoise, L’Occident, qui n’en a guère entendu qu’un écho lointain et indistinct, a tiré des débats de ce curieux procès des conclusions peu d’accord avec la vérité ou la logique.

On se rappelle encore les faits : l’acte d’illégale violence qui avait armé contre le général Trépof le bras de la jeune illuminée s’était passé au fond d’une prison, lors d’une visite du préfet de police de Saint-Pétersbourg. Irrité de l’attitude provocante de certain détenu politique qui refusait de se découvrir devant lui, le général Trépof, voulant faire un exemple, avait ordonné d’infliger à l’insolent une correction corporelle. C’était dans une prison, et là même, pour recourir aux verges, il a fallu un ordre direct, et les débats l’ont établi, un ordre écrit du préfet de police de la capitale. Et comment cet ordre a-t-il été accueilli des détenus? Par une sorte d’émeute, qui ne céda qu’à la force. Quelle a été l’impression du public quand l’incident a été connu? Loin de voir là un fait normal et régulier ou du moins un fait ordinaire ou habituel et par cela même peu digne d’attention, la presse russe s’en est émue. Les journaux l’ont signalé au public et au pouvoir comme un acte blâmable ou une rumeur regrettable qu’il importait de démentir. La juste popularité que valait au maître de police une habile administration de plusieurs années s’est évanouie en quelques jours.

  1. On a beaucoup parlé en effet de violences semblables en Lithuanie et en Pologne, spécialement dans le gouvernement de Lublin, à propos de la triste affaire des derniers Grecs-unis que l’autorité impériale a voulu ramener officiellement à l’orthodoxie orientale, mais je n’ai pas eu le moyen de constater l’exactitude des méfaits prêtés en cette circonstance à la police russe.