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centaines et peut-être des milliers de femmes ont suivi ce noble exemple ; celles qui ne le feraient point se verraient mises au ban de la société.

Si les mines d’argent de Nertchinsk n’ont pas été abandonnées, elles n’occupent plus qu’un petit nombre d’ouvriers qui y vivent au-dessus de terre et y jouissent d’une liberté relative. La plupart des forçats de Sibérie sont employés à différentes sortes de travaux qui n’ont rien de particulièrement pénible, soit dans les établissemens de l’état (zavody), dans les fabriques ou les salines, soit à la construction ou à l’entretien des routes. D’après les règlemens, les forçats ne sont retenus dans la prison de l’établissement ou dans les casernes (vkazarmakh) que durant le commencement de leur peine, durant le premier quart de leur temps, alors qu’ils sont compris dans la classe dite des condamnés à l’épreuve ou à l’essai (ispytouemye). Durant les trois autres quarts de leur temps, ils vivent aux environs de la maison de force dans des chambres libres, ils sont seulement astreints jusqu’à l’expiration de leur peine à se présenter chaque jour à l’établissement. D’ordinaire cette faculté de loger en dehors de la prison leur est accordée beaucoup plus tôt ; dans certains endroits, les forçats sont admis à demeurer au dehors dès qu’ils peuvent se louer un logement[1].

Ces adoucissemens ne sont pas les seuls : la coutume s’est introduite de compter pour les criminels ordinaires dix mois comme une année entière, ce qui abrège encore d’un sixième la durée de ces travaux forcés ainsi mitigés[2]. Cette peine, la plus élevée du code, est devenue presque nominale; aussi le gouvernement est-il accusé par ses adversaires politiques tantôt de retenir dans les forteresses de la Russie d’Europe des agitateurs légalement condamnés aux travaux forcés en Sibérie, tantôt de déployer vis-à-vis d’eux au delà de l’Oural une sévérité inconnue des criminels de droit commun. Presque tout ce qui faisait jadis l’horreur de ce châtiment redouté a disparu peu à peu, comme le knout et les verges ; la législation pénale, ainsi dégagée de ses tristes accessoires, ainsi amendée ou corrigée dans la pratique par les règlemens ou l’usage, est restée, avec les ukases humanitaires d’Elisabeth et de Catherine, la plus douce et la plus indulgente de l’Europe. Les criminalistes se sont préoccupés de cet adoucissement, de cet énervement de la pénalité ; le gouvernement, se sentant trop mal armé

  1. Les adversaires du gouvernement se plaignent de ce que ces faveurs habituelles n’aient pas été accordées à certains condamnés politiques, à Tchernychevski par exemple, le doctrinaire du radicalisme qui a passé huit ans aux mines de Nertchinsk. Voyez la revue révolutionnaire le Vpered, t. II, 1874, IIe part., p. 108.
  2. Vpered, même numéro.