Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/235

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qui n’a jamais existé, laissant seulement percer quelque amertume à l’égard de ceux qui lui ont reproché de s’être dérobé à un règne possible en 1873. L’honnête prince, l’exilé d’un demi-siècle, n’a point entendu abdiquer ni en 1873 ni depuis, soit; personne n’abdique aujourd’hui! Don Carlos, à qui on fait aussi son rôle dans cette comédie des bruits de la saison, n’entend pas abdiquer, lui non plus. Il a la satisfaction, et il ne s’en cache pas, d’être reconnu roi légitime de l’Espagne par son oncle M. le comte de Chambord, et M. le comte de Chambord, à son tour, est sans doute reconnu roi légitime de France par son neveu don Carlos. Voilà qui est entendu, on nous le dit; c’est l’histoire courante qu’on nous fait.

Un autre jour, ce n’est plus de M. le comte de Chambord et de ses voyages à Paris et de ses droits reconnus par don Carlos, et de ses projets qu’il s’agit, c’est le prince Napoléon qui entre en scène et apparaît comme un sphinx vivant. Le prince Napoléon est-il définitivement, depuis la mort du fils de Napoléon III, le chef reconnu de la dynastie, l’héritier présomptif de l’empire? aura-t-il l’avantage d’être accepté par M. Paul de Cassagnac, ou bien y aura-t-il scission dans le parti bonapartiste? le prince Napoléon se décidera-t-il à déclarer la guerre à la république, à faire tout haut une petite pénitence de ses vieux péchés de libre penseur, de ses instincts révolutionnaires? On attend son manifeste, on l’attendra sans doute longtemps, — le prince ne dit rien. Qu’à cela ne tienne : on le fera parler, on lui attribuera des discours, des programmes de César en expectative, des théories sociales ou politiques; on le représentera engageant la conversation avec un interlocuteur de fantaisie. C’est peut-être une manière de l’obliger à un aveu ou à un démenti. Pas du tout, le prince Napoléon ne se laissera pas tenter; il reste plus que jamais muet, laissant se débattre ceux qui démentent et ceux qui confirment tout ce qu’on lui attribue. C’est une scène de plus de la comédie des prétendans. Tout cela, il faut l’avouer, est assez bizarre, digne d’une heure de désœuvrement, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que tout cela se passe au sein d’institutions établies, en présence d’un gouvernement fondé, devant un pays qui, n’ayant point à choisir entre tant de combinaisons étonnantes ne demanderait qu’à vivre en paix, à être surtout moins saturé de commérages inutiles.

Et toutefois, qu’on le croie bien, le danger pour des institutions comme celles qui existent aujourd’hui, pour un régime livré aux mobilités de l’opinion, fondé sur un consentement incessant, n’est pas dans cette fronde d’anciens partis, dans ce bruit de compétitions pour le moment assez peu menaçantes; le danger, il est bien plutôt à l’extrémité opposée, dans l’esprit de certains républicains, dans ces petites agitations et ces excentricités d’un autre genre qui profitent aussi de la saison, qui ne sont pas moins factices que les autres et qui sont moins inoffensives parce qu’elles sont le signe des instincts, des tendances