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d’un parti dont il est aussi difficile de décliner que d’accepter l’appui. Le danger pour la république est dans les turbulences, les manifestations, les prétentions de ceux qui, sous prétexte de la défendre ou de la servir par privilège, la représentent comme un régime inévitablement condamné à périr par les violences, par les troubles, par les puérilités tyranniques. On se demande parfois à quoi tient cette vague inquiétude, cette indéfinissable défiance de l’avenir qu’il est facile de remarquer. La raison intime c’est qu’on ne distingue pas toujours entre la vraie direction de la république régulière et ces excentricités. Le gouvernement, lui, n’ignore pas la différence; il sait le danger de promener partout la Marseillaise comme un chant de trouble, d’alarmer les intérêts conservateurs, et la politique exposée l’autre jour à Laon par M. le président du conseil s’inspirait évidemment de cette pensée. La vraie mission d’un gouvernement sérieux est de dégager incessamment cette politique de libéralisme modéré, de l’imposer aux résistances et aux impatiences des partis contraires.

Il y a deux grands fléaux dans l’administration, dans la politique comme dans la science et dans les lettres elles-mêmes; ces deux fléaux sont l’esprit de routine et l’esprit de secte, qui se ressemblent peut-être plus qu’on ne le croit. L’esprit de routine appauvrit tout et laisse la siérilité après lui. L’esprit de secte altère tout, dénature tout et finit par tout gâter, même le talent qui ne sait pas se défendre de ses obsessions. Il y a des intelligences certainement bien douées, qui ne sont ni sans force ni sans éclat et qui perdent ce qu’elles ont de meilleur à ce jeu meurtrier des sophismes de secte ou de parti; elles se créent une sorte d’originalité inutilement ou dangereusement excentrique, et rien de plus. M. Louis Blanc n’est point sans doute une intelligence vulgaire; il est simplement une des plus brillantes victimes de cet esprit qui l’a enchaîné toute sa vie et l’enchaîne trop souvent encore à cet apostolat des faux systèmes dont M. Victor Hugo lui faisait libéralement honneur l’autre jour dans un banquet. Le socialisme, dont il s’est fait l’apôtre, dont il s’est inspiré dans ses histoires comme dans ses théories économiques, n’a guère été favorable à son talent naturellement porté à la déclamation. M. Louis Blanc n’est qu’un économiste stérilement agitateur, prenant ses chimères réformatrices pour des illuminations prophétiques, un historien aussi passionné que confus, égaré dans ses systèmes rétrospectifs, dans ses réhabilitations révolutionnaires. C’est un utopiste emphatique, en proie à ses visions, — et par un phénomène caractéristique il ne se retrouve avec ses qualités d’écrivain que là où il oublie un peu son rôle d’apôtre socialiste, dans ces lettres qu’il écrivait autrefois, qu’il remet au jour maintenant sous le titre de Dix ans de l’histoire d’Angleterre.

Ces lettres qui datent déjà de près de vingt ans ne sont point en effet Sans intérêt. Elles ont de l’animation, de l’originalité et souvent de la