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de l’étoffe les lignes et les contours d’une figure. Leurs draperies, traitées avec une puissante fantaisie, avec des cassures bizarres ou gracieuses, mais toujours imprévues, ne sont qu’un moyen de contrastes et d’effets pittoresques. Aussi vit-on dégénérer bientôt cette hautaine méthode et l’école du Bernin arriver, en matière de vêtemens, à la plus ridicule extravagance. Les prédécesseurs de Thorvaldsen dans la réforme classique passèrent à un autre excès : rien n’est maigre, sec et froid comme les draperies de Louis David et de Canova. Seul à cette époque Houdon pressentit la valeur sculpturale du vêtement: au reste, si quelque artiste contemporain du Danois a pu exercer sur lui une action directe, c’est celui-là.


IV.

Quittons maintenant le musée du maître pour nous rendre à l’église Notre-Dame, qui n’en est guère éloignée. On peut prendre au musée même, où se trouvent tous leurs plâtres, une première idée des sculptures religieuses accumulées dans cette église. Mais le seul moyen de les goûter et d’en bien juger, c’est de les voir à la place même que l’artiste leur a destinée. Nous sommes ici en présence d’un ordre de compositions tout à fait à part dans l’œuvre de Thorvaldsen, fort peu connu en raison même de sa situation, et sur lequel la critique, du moins en France, n’a encore donné que de très vagues renseignemens.

J’ai raconté comment, lors de son premier retour dans sa patrie en 1820, Thorvaldsen accepta de la ville de Copenhague la mission de décorer la cathédrale que l’on venait de rebâtir. Le plan de l’édifice se prêtait mieux que tout autre à une décoration sculpturale, surtout dans le style grec. Notre-Dame en effet est une basilique assez semblable, pour le dehors, à l’église Saint-Vincent-de-Paul à Paris; mais l’intérieur en est beaucoup moins correct. Les bas-côtés sont trop étroits, et les trois nefs sont divisées, non par une colonnade comme cela devrait être, mais par des arcades qui reposent sur des pieds-droits beaucoup trop larges. On devine que, dans la pensée de l’architecte, ces pieds-droits devaient être flanqués de statues. La façade est nue, surmontée de deux tours carrées au-dessus de l’attique et précédée d’un portique de six colonnes, dans le plus pur style dorique, mais trop petit pour les proportions du monument. On peut se demander, sans en trouver d’ailleurs aucune preuve, si Thorvaldsen n’a pas inspiré lui-même à l’architecte le dessin de ce portique, afin de pouvoir y placer la grande composition qu’il rêvait. Car vers 1820 personne en Europe, si ce n’est peut-être le prince Louis de Bavière, ne songeait à faire du vrai style dorique, dont à peine ou commençait à