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et les marbres du Colisée ; mais ses prédécesseurs n’avaient-ils pas fait de même à Porto, à Ostie, à Tivoli, et aussi à Rome, dans plusieurs quartiers couverts de ruines, que tout le XVe siècle exploita en guise de carrières ? Paul II, il est vrai, chassa de son entourage beaucoup de petits poètes ; il fut beaucoup trop rigoureux contre cette académie de Pomponius Lætus qui se réunissait quelquefois aux catacombes et y inscrivait, par un jeu d’esprit voisin du scandale, le nom de son président ou pontifex maximus. À ce peu de griefs qu’on fait valoir contre lui répondent suffisamment sa hauteur d’esprit et son incontestable libéralité. Il avait le grand goût vénitien ; c’était un vrai pape de la renaissance, qui joignait au désir d’un luxe majestueux un réel respect des belles choses. Il y comprenait les monumens de l’art antique et des édifices ruinés de l’ancienne Rome. Avec plus de sollicitude encore que Pie II son prédécesseur, il fit restaurer l’arc de Titus, celui de Septime Sévère, les colosses de Monte Cavallo, la statue équestre de Marc-Aurèle. Il était si peu l’ennemi des souvenirs de l’antiquité classique qu’il fit célébrer avec grande pompe un Triomphe d’Auguste. On y voyait s’avancer des géants, l’Amour, Diane et les Nymphes, et puis les rois et les chefs vaincus, au milieu d’eux Cléopâtre ; après cela Mars, les Faunes, Bacchus. Et les chœurs chantaient les louanges du saint pontife, qu’ils appelaient père de la patrie, protecteur de la paix, auteur de la prospérité publique. — Ce doivent être là des circonstances atténuantes auprès des partisans de l’humanisme.

Au reste, une des plus grandes œuvres architecturales du XVe siècle, et qui fait toujours grande figure dans Rome, conserve le souvenir de Paul II et assure à ce pontife, malgré tout, une belle place dans l’histoire monumentale du XVe siècle : c’est le palais de Saint- Marc adjoint à la basilique du même nom. L’immense édifice que, plus tard. Pie IV donnera à la république de Venise, et qui deviendra ainsi jusqu’à nos jours une propriété autrichienne, rappelle par ses formes massives et sa physionomie sévère, par ses créneaux, sa tour et son peu d’ouvertures, les châteaux fortifiés du moyen âge, mais en même temps, par ses belles proportions, par l’élégance de ses fenêtres et de ses arcades intérieures, l’art émancipé de la première renaissance. C’est là que Paul II avait accumulé les trésors incomparables d’une collection qui réunissait aux tapisseries, aux broderies, aux riches étoffes, aux bijoux, — perles, camées, intailles, anneaux et bagues, — les sculptures antiques, les bronzes, les peintures byzantines, les monnaies et médailles, les mosaïques, les émaux, les ivoires, les vitraux peints, les manuscrits ornés de miniatures, tout ce qu’avaient pu lui obtenir à grands frais les voyageurs