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dans la maison de Molière et la théorie devient autre. La langue que parlent Gluck et Mozart, Rossini et Meyerbeer, n’a rien de commun avec la langue de Corneille, de Racine et de Victor Hugo. Un récitatif ne se déclame pas comme une tirade, et M. Samson qui insufflait si merveilleusement à Rachel les imprécations de Camille, le fameux Samson lui-même y perdrait sa peine. A l’Opéra, la musique gouverne tout; l’accord frappé commande le geste qui pour s’imposer à cette salle immense, pour agir par-dessus l’orchestre et les chœurs et dominer tout ce formidable spectacle, doit avoir une amplitude, une envergure dont la pratique des planches du Théâtre Français ne saurait donner la moindre idée. Entre l’orchestre et le personnage règne un continuel rapport de va-et-vient; l’orchestre, sous forme de prélude et d’accompagnement, annonçant, commentant le personnage et celui-ci l’oreille tendue vers l’orchestre, ne perdant pas une note du commentaire, y conformant ses inflexions de voix et sa mimique, en un mot se l’assimilant. Et maintenant, je le demande, est-ce sur les indications quelconques d’un libretto que vous réglerez votre leçon de déclamation lyrique, et si vous n’êtes musicien quels services pouvez-vous rendre ? Je sais tout ce que vaut M. Régnier comme information littéraire et ne lui reproche que de ne pas être ou de ne plus être à sa vraie place. Que dirait-il lui-même en voyant aujourd’hui M. Perrin appeler au Théâtre-Français pour le charger de la direction des études un baryton de l’Opéra, M. Obin par exemple ? The right man in the right place : mettre en pratique ce proverbe semble la chose la plus simple du monde, dans les autres pays peut-être, chez nous point. Quant à l’Opéra populaire, on en pourra retarder et compromettre le succès, mais toutes les combinaisons maladroites ne l’empêcheront pas de s’implanter, car il est dans l’esprit du temps : Sinite parvulos venire ad me, a dit quelqu’un dont la parole compte pour quelque chose, et dans le mouvement d’instruction universelle qui s’annonce, civiliser, évangéliser les masses au nom de Mozart, de Beethoven, de Méhul, de Rossini, d’Auber, de Boïeldieu et de Meyerbeer ne serait point après tout une invention si chimérique.


F. DE LAGENEVAIS.