Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/473

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exposés à de cruels retours. C’est ce qui arrive en ce moment même à l’Angleterre. Lord Beaconsfield, avec sa confiance dans une fortune qui ne lui a pas manqué, jusqu’ici triomphait, il n’y a que quelques semaines, en montrant dans ses discours le traité de Berlin en pleine exécution, la paix de l’Orient assurée, la guerre de l’Afghanistan définitivement terminée, la guerre des Zoulous près de finir, la politique de l’Angleterre partout victorieuse. Le bulletin était brillant et sonnait comme une fanfare. Voilà du moins une partie du bulletin qui n’est plus vraie. La question de l’Afghanistan vient de se raviver dans le sang des envoyés anglais massacrés à Caboul, dans le feu d’une insurrection, qui remet en doute tout ce qu’on croyait avoir conquis, qui risque aussi de faire renaître le problème de l’équilibre de l’Asie centrale.

On ne peut certes méconnaître que, par son esprit entreprenant, lord Beaconsfield n’ait imprimé depuis quelques années une vigoureuse impulsion à la politique extérieure de l’Angleterre. Il a tenu à faire sentir l’action de la Grande-Bretagne partout à la fois, dans l’extrême Orient, en Afrique comme en Europe. Il a réussi ou il a paru réussir ; il réussira vraisemblablement encore, puisqu’il a pour complices l’orgueil et les intérêts britanniques engagés dans toutes ces affaires. Il n’est pas moins vrai que, dans ces derniers temps, l’Angleterre a eu deux graves mécomptes, qui ont un peu effacé l’éclat de la prise de possession de Chypre et qui, jusqu’à un certain point, tiennent à cette politique d’agitation, de coups de théâtre. Le premier de ces mécomptes a été cette guerre avec les Zoulous, qui n’a pas eu seulement des incidens douloureux, qui a été pénible pour la fierté anglaise en montrant une armée de la reine tenue en échec par un petit roi barbare, chef de bandes sauvages. La seconde et la plus sérieuse épreuve est ce qui arrive aujourd’hui dans l’Afghanistan.

Le succès avait sans doute tout d’abord paru trancher la question et justifier la politique ministérielle. L’Angleterre avait habilement et victorieusement conduit cette difficile campagne, dont d’anciens vice-rois des Indes, entre autres lord Lawrence, avaient signalé les dangers. Elle avait conquis pour l’empire indien ce que lord Beaconsfield a appelé les « frontières scientifiques, » et par le traité de Gandamak, prix de ses victoires, elle pensait avoir assuré les résultats essentiels auxquels elle tenait. Elle avait noué alliance avec un nouvel émir, Yacoub-Khan, qui a succédé à l’ancien émir Shere-Ali, mort pendant la guerre. Récemment enfin elle avait établi une mission considérable à Caboul, et l’envoyé qu’elle avait chargé de la représenter, le major sir Louis Cavagnari, semblait fait pour la mission. Italien d’origine, fils d’un officier de Napoléon et d’une mère irlandaise, naturalisé Anglais et élève aux écoles militaires, le major Cavagnari était un de ces hommes comme l’Angleterre en trouve souvent : soldat et diplomate à la fois, rompu aux