Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/474

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaires asiatiques. Quoique jeune encore, il n’avait pas quarante ans, il servait depuis longtemps aux Indes et il avait été souvent employé aux missions les plus périlleuses, où il avait toujours montré autant de finesse que d’imperturbable audace. Il avait joué un des rôles les plus actifs dans la dernière guerre, et nul n’était mieux fait pour représenter l’Angleterre après la victoire à Caboul. Malheureusement on n’avait pas compté avec la faiblesse d’un prince nouveau, transformé en vassal peut-être peu sûr, avec le fanatisme musulman irrité par la défaite, avec le ressentiment de populations belliqueuses. Le major Cavagnari n’était que depuis peu à Caboul, où il avait été reçu avec pompe, lorsque des régimens afghans ont donné le signal d’une formidable insurrection contre lui, contre la légation dont il était le chef. Il s’est vu assailli dans sa demeure où, avec las hommes de sa mission, au nombre d’une soixantaine, il a eu à soutenir un vrai siège. Il paraît s’être défendu avec un héroïsme désespéré, puisqu’il aurait tué plus de deux cents soldats afghans. On n’a eu raison de lui qu’en mettant le feu à la légation, et dans une sortie furieuse il a péri avec tous les siens. Il ne s’est échappé que neuf cavaliers de la mission, qui étaient absens pour le moment et qui n’ont plus reparu. À trente-sept ans de distance, c’est le renouvellement d’une scène du même genre, de la tragédie du 2 novembre 1841, où un autre envoyé anglais, sir Alexander Burnes, périssait également massacré, et ces événemens donnent tristement raison à ceux qui n’ont cessé de blâmer et l’expédition et l’idée d’entretenir une mission permanente à Caboul. Aujourd’hui le mal est fait, et l’Angleterre n’a plus même le choix des résolutions.

Évidemment la première pensée devait être de réparer au plus vite ce sanglant échec, de revenir sur Caboul, pour aller chercher une vengeance exemplaire de l’attentat commis contre le major Cavagnari et le nom britannique. Déjà les généraux anglais se sont remis en mouvement, des troupes nouvelles vont les rejoindre. Par le fait, c’est une campagne à recommencer : elle ne sera peut-être pas très aisée, d’autant plus qu’on ne sait ni ce qu’est devenu l’émir Yacoub-Khan, dont le rôle est assez difficile à démêler, ni quelle force réelle représentent les régimens afghans insurgés, ni quelle extension a prise ou prendra l’insurrection. D’un autre côté, l’armée anglaise, fort éprouvée par la dernière guerre, paraît insuffisamment munie pour une marche longue et laborieuse dans ces contrées. Embarras et résistances, l’Angleterre surmontera tout sans doute, elle ira dicter ses lois à Caboul ; mais c’est ici que les vraies difficultés commencent. Va-t-on parler encore de cette merveille des « frontières scientifiques ? » Maintiendra-t-on purement et simplement le traité de Candamak, prix de la dernière guerre ? Soutiendra-t-on tant bien que mal contre les compétitions et les insurrections un émir devenu plus que jamais un impuissant vassal ? L’Angleterre dans ce cas reste livrée à toutes les incertitudes, elle risque d’avoir