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représentés volontiers comme une race prédestinée au gouvernement de l’humanité. Il a recherché avec un soin pieux les origines de sa famille, et il les a fait connaître dans une préface qu’il a mise à une réimpression des œuvres de son père. La famille Disraeli faisait partie des Sephardim, c’est-à-dire de ces juifs d’Aragon et d’Andalousie, désignés souvent sous le nom de nouveaux chrétiens, qui avaient conservé leurs antiques croyances malgré une apparente adhésion au christianisme, et qui, après de longues années de prospérité et même de faveur, furent chassés d’Espagne, au XVIe siècle, par l’inquisition, et transportèrent à Venise leurs richesses, leur savoir et leurs aptitudes industrieuses. Le grand-oncle de lord Beaconsfield était un des plus riches banquiers de Venise : en 1748, il envoya en Angleterre son frère cadet. Benjamin Disraeli, alors âgé de dix-huit ans, pour lui servir de correspondant. Celui-ci s’établit à Londres, s’affilia à la synagogue espagnole et épousa une de ses coreligionnaires. Bien que naturalisé Anglais, il demeura fidèle à la foi de ses pères; mais sa femme, d’un esprit original et vif et d’un caractère plein de fierté, supportait malaisément les préjugés qui régnaient encore contre les Juifs en Angleterre et s’irritait des avanies et des dédains contre lesquels les relations étendues et la grande fortune de son mari ne la protégeaient pas. Elle finit par prendre en aversion la religion dans laquelle elle était née, et elle fit partager ce sentiment à son fils unique, Isaac Disraeli. Envoyé de bonne heure en Hollande et en France, pour y apprendre les affaires, celui-ci rapporta du continent, en 1789, un ardent enthousiasme pour Jean-Jacques Rousseau et ses doctrines, des cahiers de vers et de prose, et une insurmontable aversion pour la banque et le commerce. Écrire était sa seule passion : il se laissa marier à la fille d’un architecte de mérite, Basevi, à qui l’on doit plusieurs monumens; mais ni le mariage, ni la naissance de quatre enfans ne purent le distraire de ses lectures et de ses travaux littéraires. Il ne quittait guère son cabinet que pour aller faire des recherches dans les bibliothèques ou passer de longues heures dans les boutiques des bouquinistes, d’où il revenait toujours les poches remplies de livres. Dépourvu de toute originalité, il était surtout un vulgarisateur : il était sans cesse à la poursuite des anecdotes et des menus faits destinés à former le fond des articles de biographie et de critique qu’il a réunis sous le titre de Curiosités de la littérature, et qui ont rendu son nom populaire.

Isaac Disraeli avait refusé d’occuper aucune fonction dans la synagogue : il se tenait complètement à l’écart des coreligionnaires de sa famille; lorsque la mort de son père, arrivée en 1817, lui rendit toute liberté à cet égard, il rompit absolument avec le judaïsme et fit ou laissa baptiser ses enfans dans la religion anglicane. Il en