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pris la peine de les bien élever. Aussi le poète dit-il en termes exprès qu’elles ont eu des maîtres « et qu’on leur a enseigné les arts qui sont l’ornement de l’enfance. » En réalité, elles ne sont que des contemporaines de Corinne, qui ont fréquenté la bonne société et appris les usages de la galanterie dans l’Art d’aimer. C’est le système ordinaire d’Ovide de rajeunir par tous les moyens cette vieille mythologie, et les dieux n’y échappent pas plus que les héros. Ils perdent tout à fait chez lui cet air antique qui les rendait vénérables ; il en fait des hommes, et des hommes qui ressemblent à ceux parmi lesquels il passait sa vie. Hercule n’est plus qu’un athlète ordinaire qui se bat contre Achéloüs à la façon de ceux qu’on montre au peuple dans les jeux publics. Quand Minerve défie Arachné, elle se met au travail comme une bonne ouvrière, retroussant sa robe pour être moins gênée et faisant courir sa navette entre les fils « avec une ardeur qui lui fait oublier sa peine. » Le ménage de Jupiter manque entièrement de gravité. Junon est sans cesse occupée à surveiller son mari, qui lui donne de grands sujets d’être jalouse. Tout entretient ses soupçons. Il suffit d’un brouillard qui couvre un coin de la terre, pendant un jour serein, pour la rendre toute pensive. « Elle s’étonne, en voyant s’élever ce nuage qui n’a pas de raison de s’être formé, et sa première pensée est de regarder aussitôt où son mari peut être, car elle se souvient de toutes les infidélités dont il s’est rendu coupable. Comme elle ne le voit nulle part: Je serais bien étonnée, s’écrie-t-elle, s’il n’était pas en train de me tromper (aut ego fallor, aut ego l dor, ait) ; » et elle se met en mesure de le surprendre. Cette habitude de représenter tout à fait les dieux comme les hommes et de donner un air moderne à l’antique mythologie pour la rendre vivante, nous l’avons aussi remarqué dans les peintures de Pompéi. C’est la preuve qu’elle existait déjà chez les poètes d’Alexandrie. Mais Ovide est allé beaucoup plus loin que ses maîtres. Il mêle à tout une sorte de bonne humeur et de verve bouffonne qui n’est pas dans le génie des alexandrins. En les imitant, il les a profondément modifiés. M. Rohde, dans son livre sur l’origine du roman grec, fait remarquer que, s’il leur doit le fond de ses ouvrages, il se distingue d’eux par l’exécution. Les alexandrins étaient en général des gens méticuleux et compassés, des critiques autant que des poètes, fort sévères pour les autres et pour eux, qui, voulant plaire aux gens du monde, soignaient beaucoup leurs vers, qui polissaient et ciselaient leurs phrases, cherchaient à mettre de l’esprit ou de la science partout, et par conséquent ne produisaient guère. C’était véritablement un de leurs élèves que cet Helvius Cinna, l’ami de Catulle, qui mit neuf ans à achever un petit poème et le rendit si obscur à force de le travailler qu’il eut tout de suite des commentateurs, et que c’était une