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l’injure de croire que tous ces raisonnemens t’étaient nécessaires pour apprécier l’âme de ton petit Louis; elle est toute de feu pour mon Aimée, et les mille baisers que je t’envoie t’assurent de cet élément. » D’aucuns trouveront peut-être dans ces lignes l’accent du dernier siècle finissant, et il y est en effet, car n’est-il pas vrai qu’on ne s’étonnerait pas de les trouver au bas de quelqu’une des lettres de Mirabeau à Sophie, voire même, en changeant le sexe, de Mlle de Lespinasse à M. de Guibert? Ce qui est certain toutefois, c’est que cette marque est inconsciente et qu’en dépit d’elle le sentiment garde toute sa spontanéité. Que dites-vous encore de l’amusante anecdote de volière que voici : « Je ne croyais pas, ma petite Aimée, qu’il pût se trouver quelque circonstance où il fût, sinon permis, au moins excusable de battre sa moitié. Cependant tu prends tellement le parti du pauvre faisan qui, se voyant frustré dans ses espérances de se reproduire, est entré en fureur contre sa femme et s’est porté à des extrémités telles que la pauvre malheureuse eût succombé sans tes secours et ton intervention, tu prends tellement, dis-je, le parti du faisan que l’on pourrait croire que tu approuves sa brusquerie. Je ne partage pas ton indulgence pour le faisan, ma petite Aimée : les maris doivent dans des circonstances pareilles consoler leurs femmes, toujours plus sensibles et par conséquent plus affligées de ces malheurs. » Ou nous nous trompons fort, ou cela est par le ton, l’enjouement, la moralité piquante, de la meilleure plaisanterie française. Notez pour plus de saveur que cette moralité est une gracieuse leçon conjugale indirectement adressée à la maréchale, qui se désespérait de ne mettre au monde que des filles et avait laissé percer plusieurs fois la crainte que cette circonstance ne refroidît pour elle son mari, soupçon que Davout avait repoussé avec tendresse en assurant sa femme que les filles qu’elle lui donnait lui seraient aussi chères que des garçons. Nous pourrions multiplier nos citations, mais il faut se borner, et celles que nous venons de donner suffiront sans doute pour montrer que ce soldat sévère savait se dérider en face des siens et leur présenter un tout autre visage que celui dont il regardait l’ennemi.

Ce n’est vraiment pas assez que de dire, comme nous venons de le faire, qu’aimer en bourgeois et en amant est la meilleure manière d’aimer, nous devrions dire que c’est la plus complète, car c’est la seule qui embrasse l’être aimé dans son intégrité, corps et âme à la fois. Davout nous en est un exemple. Comme il aime sa femme en bourgeois, sa tendresse est minutieusement inquiète de tout ce qui regarde son bonheur matériel, et comme il l’aime en amant, elle est soucieuse à l’excès de tout ce qui peut lui conserver son bonheur moral. Aux plus longues distances et dans les momens