L’absence est le plus grand des maux, Davout met toute son âme à l’assurer qu’il ne méritera jamais du moins qu’elle lui applique le vers suivant de la fable : Non pas pour vous, cruel ! Il marche droit à ces fantômes de jalousie, les dissipe, et l’apaise par des sermens d’invariable affection dont le ton de loyauté indique qu’ils méritent d’être crus. S’il reçoit quelquefois des reproches, Davout n’en adresse jamais à sa femme, et c’est en cela peut-être que se montre le mieux toute la délicatesse de cet amour. Il y avait cependant un sujet qui aurait justifié ses plaintes, la négligence de sa femme à cultiver ses rapports d’amitié et de parenté avec la famille consulaire, négligence qui, nous l’avons vu, lui avait été très sensible. Plus d’un mari en pareil cas se croirait autorisé à reprocher à sa femme les difficultés de situation où cette négligence pourrait le mettre, les obstacles ou les retards qu’elle pourrait apporter à sa carrière, les mécomptes qu’elle pourrait faire subir à son ambition, et ces reproches ne paraîtraient ni injustes ni mal fondés. Davout évite cependant d’en exprimer aucun, et le seul blâme qu’il inflige à cette négligence est la prière mainte fois répétée de ne pas la faire dégénérer en ingratitude.
La même bonté éclate dans ses rapports avec tous les siens, mais avec cette nuance fort curieuse à noter qu’il n’eut jamais avec aucun d’eux la familiarité que nous venons de lui voir avec sa femme. Ce n’est pas qu’il les aime moins, mais il les aime autrement. Même avec ceux qui lui sont le plus proches par le sang le tutoiement est banni ; pour sa mère il montre une tendresse profondément respectueuse, pour son frère une amitié protectrice pleine de générosité. On pourrait dire avec exactitude que Davout aima ses proches avec les formes de l’ancienne société, et qu’il aima sa femme avec l’expansion ennemie de la contrainte qui caractérise l’esprit nouveau. Cette différence dans les formes de l’affection est toute à l’honneur de l’homme qui sut la comprendre. La seule bonne manière d’aimer ses parens sera toujours de les aimer à la façon de l’ancien régime, c’est-à-dire avec déférence, retenue et respect, et la manière la moins périlleuse d’aimer sa femme sera toujours de l’aimer avec une vivacité assez intime pour écarter toute froideur. La générosité dont cette correspondance, tant avec sa mère et son frère qu’avec sa femme, donne un si grand nombre de preuves montre bien d’ailleurs que cette absence de familiarité n’impliquait pas une diminution d’affection. Dès qu’il eut conquis à la pointe de son épée sa magnifique dotation de Pologne, il s’empressa d’associer tous ceux qu’il aimait à son opulence.
« Il est bien juste, ma chère mère, écrit-il en 1808, que vous vous ressentiez de la grande fortune que je tiens de l’empereur. Je prendrai