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ont accumulées au ministère de la guerre, et que, sur l’ordre de M. Thiers, une commission a classées, cataloguées et placées à l’abri des investigations actuelles de l’histoire. Les greffes de la justice militaire, les greffes de la justice criminelle sont clos; lorsque l’heure sera venue de les ouvrir, on verra apparaître une histoire anecdotique, morale et politique de la commune qu’il me paraît impossible d’écrire aujourd’hui. Tout ce que l’on peut faire à cette heure, c’est d’utiliser les documens qui ont échappé aux incendies, qui n’ont pas été enfouis dans les cartons de la justice, et qui sont restés là où la commune les avait expédiés : dans les prisons, au Louvre, à la Banque, au ministère de la marine, et ailleurs; c’est ce que j’ai essayé de faire, sans me dissimuler les lacunes auxquelles un pareil travail était condamné.

Ce travail offre en outre un inconvénient qu’un écrivain plus habile que moi aurait sans doute réussi à éviter, mais auquel je n’ai pas pu échapper. J’ai souvent dans ces diverses monographies côtoyé des sujets dont j’avais déjà parlé, car ils se développaient parallèlement aux événemens que je racontais et exerçaient sur eux une sérieuse influence. Prenant l’histoire d’une administration au début même de l’insurrection et la conduisant jusqu’à la fin de celle-ci, j’ai dû, pour rester clair et aussi complet que possible, revenir sur des incidens qui avaient précédemment trouvé place dans mon récit. C’est là un grave défaut de composition, je le reconnais ; car il m’a entraîné à des répétitions, à des redites, plus apparentes peut-être que réelles, mais qui ont pu surprendre et fatiguer le lecteur. Mon excuse est donc un besoin d’exactitude poussé parfois jusqu’à la minutie. À ce besoin j’ai tout sacrifié, même l’ordonnance de l’ouvrage entier.

Il est un fait que j’ai volontairement négligé : c’est le fait du 18 mars, que j’ai eu à indiquer, mais que je n’ai pas cru devoir raconter avec les développemens qu’il pourrait comporter. On m’a reproché d’avoir gardé le silence à cet égard, j’ai donc à m’expliquer. Des témoins se sont offerts, les documens abondent, et je crois que toute lumière peut être faite; mais, si le 18 mars est un point de départ, ce qui n’est pas douteux, le point de départ de la commune, il est avant tout une conséquence : il est la réalisation des projets formés, la mise en œuvre des doctrines professées dans les sociétés secrètes depuis plus de quarante ans; projets et doctrines connus, que les hommes du gouvernement de la défense nationale ont eu lu nonchalance de ne pas combattre, et qui se sont cristallisés dans la formidable association armée de la fédération de la garde nationale. Au 18 mars, on a saisi une occasion propice que le gouvernement offrit imprudemment lui-même, et que sans cela l’on était résolu à faire naître bientôt sous n’importe quel prétexte.