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trois. » Là-dessus je voulus lui faire le récit fidèle de toute ma vie et le détail de tous les attentats que j’ai pu commettre contre la vieille morale allemande; mais il me ferma la bouche en me disant : « Non, non, pour l’amour de Dieu, pas de fouilles de Pompéi, et ne pensons qu’à l’avenir. »

On demandera peut-être quel âge avait alors Mlle Hélène de Dönniges. Elle n’avait pas encore vingt ans, et elle fouillait déjà Pompéi. Elle a eu soin de nous apprendre « qu’elle est la femme la plus femme de l’univers, c’est-à-dire irresponsable, capricieuse et fille. » Elle nous apprend aussi « qu’elle a toujours payé de sa personne où elle croyait voir un vrai sentiment. » Elle nous dit cela en français, car elle sait très bien le français. — « La nuit suivante, j’écrivis à Lassalle : « Vous m’avez demandé mon consentement et vous m’avez déclaré que vous vous chargiez du reste. Je consens, chargez-vous du reste. » En quittant le Righi, j’allai à Berne, où Lassalle vint me retrouver. Nous avions besoin de nous voir pour concerter nos plans. Nous passâmes des journées délicieuses, les meilleures de ma vie. Je l’adorais comme un chrétien peut adorer le Christ, et je l’aimais aussi comme on aime un gros chien, à qui l’on dit : Couche-toi là! et qui se couche. Je lui disais : Couche dich! et il se couchait. Un soir, il enjamba ma fenêtre et demeura la moitié d’une nuit dans ma chambre; mais j’atteste à tout l’univers que nous employâmes tout notre temps à parler de M. de Bismarck. Au jour fixé, je partis pour Genève; Lassalle devait m’y rejoindre quelques heures plus tard. J’étais chargée de préparer les voies, il devait faire le reste. J’arrivai comme ma sœur Marguerite venait d’être fiancée au comte Kayserling. Mes parens étaient ravis de ce mariage, et je voulus profiter de l’heureuse disposition où je les voyais, pour obtenir leur consentement au mien. A peine en eus-je touché un mot, ma mère s’emporta et mon père entra dans une fureur que je renonce à décrire. Il suffit de dire que dans toute cette affaire il tint une conduite où le ridicule le disputait à l’odieux. Je résolus de me sauver, d’aller attendre Lassalle à l’hôtel où il devait descendre. Je pris mon chapeau, mon manteau, quelque argent et un petit poignard. »

Peut-être voudra-t-on savoir tout de suite à quoi servit ce poignard. A rien du tout, absolument à rien, et ce n’était pas la peine d’en parler. — « Je rencontrai Lassalle, je l’entraînai dans une maison amie, et cette fois je le suppliai de m’enlever. Il n’y consentit pas; la partie était engagée, il entendait la gagner. Ma mère nous surprit au milieu de notre délibération, elle nous accabla des injures les plus grossières. Lassalle lui dit : « Vous vous méprenez sur mon caractère; je vous rends votre enfant, mais avant peu je reprendrai mon dépôt. C’est de votre main qu’Hélène me sera donnée. » Puis il me dit à moi-même : « Je le quitte pour peu de temps; tu me connais, tu sais que je veux bien ce que je veux. Je vais m’occuper d’assurer notre bonheur; je ne