Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/957

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sérieux et il s’est engagé dans de trop grandes entreprises d’utilité nationale pour ne pas sentir tout le prix d’une politique de modération féconde et de paix intérieure. M. le ministre des finances conduit d’une main souple et habile la plus vaste administration, et il a la satisfaction de voir le produit des impôts dépasser chaque jour les prévisions du budget. M. le ministre de la justice a montré, à propos de l’amnistie, contre les sinistres fauteurs de l’insurrection de 1871, un courage de parole qu’il déploierait sûrement encore à la première occasion. M. le ministre de la guerre et M. le ministre de la marine tiennent honorablement leur place à la tête des grands services de l’armée et de la flotte. Chez tous ces hommes, dans leurs idées, dans la mesure de leurs opinions, il n’y a rien qui ne soit propre à constituer une situation suffisamment solide, suffisamment rassurante.

D’où vient donc que cette situation, qui a été forte un moment, au lendemain de l’élévation de M. Jules Grévy à la présidence, et qui aurait pu rester forte, se soit sensiblement altérée au point d’être livrée aujourd’hui à toutes les contestations ? Il n’y a point à s’y méprendre : la cause du mal n’est pas bien loin, elle est dans une partie du gouvernement lui-même, elle est dans l’insuffisance de M. le ministre de rintéîieur qui, ne prenant que la moitié de la devise de M. le président de la république, parle beaucoup, se flatte d’avoir prononcé cinquante-quatre discours en se promenant et laisse tout faire autour de lui ; elle est surtout dans la politique imprévoyante et irritante que M. le ministre de l’instruction publique s’est donné la singulière mission de représenter, de pousser jusqu’au bout, au risque de compromettre le cabinet dont il fait partie. On dira sans doute que ce n’est point cela, que toutes les difficultés sont venues de cette agitation qui s’est récemment produite à propos d’une amnistie plénière et qui aurait rencontré des complicités inattendues de nature à embarrasser le gouvernement ; mais avant même que cette agitation eût pris des proportions toujours attristantes, quoique réellement assez superficielles et assez factices, le mal existait. M. le ministre de l’instruction publique n’avait pas attendu le rapatriement des amnistiés de la Nouvelle-Calédonie et le tapage dont leur retour a été l’occasion pour déployer cette merveilleuse initiative dont le premier effet a été de compliquer la position du ministère, de scinder les forces par lesquelles la république a été fondée en inquiétant des intérêts de conscience et de libéralisme. C’est M. Jules Ferry qui, sans prévoir complètement peut-être les conséquences de ses propositions, s’est plu à soulever la question la plus délicate, la plus dangereuse, la mieux faite pour jeter un trouble profond et durable dans une situation. C’est lui, et on peut dire que c’est lui seul qui, dès le premier moment, de sa propre autorité, sous sa responsabilité de ministre né de la veille, a engagé une lutte où la république