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avaient permis de prendre cette orgueilleuse devise : « Qui je défends est maître. » A son avis, le moyen le plus sûr pour l’Angleterre d’exercer sur les affaires du continent une influence considérable sans contracter d’engagemens onéreux et en gardant intacte sa liberté d’action, était de demeurer unie à la France dont elle n’était séparée par aucun antagonisme d’intérêts, et de demander aux bons rapports et aux sages conseils les résultats que lord Palmerston poursuivait vainement par une politique décousue et tracassière. Personne n’a condamné avec plus de persévérance et de sévérité la constante habitude de lord Palmerston et de lord John Russell de transformer la diplomatie anglaise en un instrument de propagande politique, de nouer en tout pays des relations étroites avec un parti, et de mettre au service de ce parti l’influence de l’Angleterre, associant ainsi leur patrie aux mésaventures comme aux succès de ces alliés d’un jour. Ce que M. Disraeli avait en commun avec lord Palmerston, et ce qu’il a fait voir en toute occasion, c’est un sentiment très vif de la dignité nationale, c’est la détermination de ne reculer devant aucune lutte, devant aucun sacrifice pour soutenir l’honneur du nom anglais.

Les idées de M. Disraeli en matière de finances n’étaient pas moins arrêtées. Il regardait comme un devoir pour le gouvernement de tenir la balance égale entre les intérêts ; il devait donc empêcher les classes industrielles et commerciales d’abuser de leur influence dans le parlement pour alléger leur propre fardeau et rejeter le poids des charges publiques sur l’agriculture et sur la propriété foncière. Ces classes avaient obtenu de larges satisfactions par les suppressions et les dégrèvemens opérés dans le tarif des douanes, et par l’abolition des lois sur les céréales ; l’agriculture, qui était après tout le plus considérable des intérêts nationaux, avait droit à une compensation des sacrifices qu’on lui avait imposés, et l’on devait d’autant plus soigneusement ménager les forces contributives de la propriété foncière que celle-ci était la pierre angulaire des institutions britanniques, le plus solide point d’appui et la ressource suprême de l’état dans les jours de crise. Un retour à la protection n’était point nécessaire. M. Disraeli abandonna de très bonne heure toute idée de revenir sur l’abolition des Corn Laws. La décision du parlement n’avait pas seulement à ses yeux la force du fait accompli, elle lui semblait avoir reçu de la nation, dans les élections générales de 1847, une sanction qui devait la faire considérer comme désormais irrévocable. Le sentiment populaire était d’ailleurs trop général et trop vif pour qu’on pût se flatter de ramener les esprits, et la prudence interdisait de provoquer le réveil d’une agitation redoutable. La compensation qui était due à l’agriculture pouvait lui être donnée sous différentes