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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/139

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formes : on pouvait ou supprimer les impôts qui pesaient exclusivement sur elle, comme l’impôt sur la drêche, ou mieux répartir les charges locales dont elle portait presque tout le poids, ou enfin diminuer ces charges en inscrivant au budget général et en faisant ainsi supporter par la communauté tout entière une partie des dépenses défrayées au moyen des taxes locales. L’appui que M. Disraeli avait donné aux premières réformes de sir Robert Peel avait suffisamment montré qu’il était partisan d’une législation douanière libérale, mais il n’estimait point que l’Angleterre dût faire aux autres nations des avantages gratuits ; elle était fondée à exiger des concessions en retour de celles qu’elle était prête à consentir, et elle devait, par l’établissement de droits compensateurs, imposer la réciprocité aux pays qui refuseraient d’admettre les produits anglais à des conditions équitables. C’est par là que M. Disraeli se distinguait de l’école de Manchester, qui soutenait que l’abaissement ou la suppression des droits de douane profitaient surtout aux consommateurs anglais, que par conséquent il n’y avait pas lieu de les subordonner à des concessions de la part des autres nations.

Le parti tory, lorsque M. Disraeli en prit la direction dans la chambre des communes, semblait éloigné pour longtemps des affaires. Non-seulement il était une minorité, mais l’incertitude et le découragement régnaient dans ses rangs. C’était une armée sans officiers ; tout l’état-major du parti avait suivi sir Robert Peel dans ses évolutions et l’avait accompagné dans la retraite. Les uns cherchaient déjà à se ménager une place dans les rangs des libéraux ; les autres se tenaient en observation, convaincus qu’après avoir donné cours à leur ressentiment, les tories finiraient par accepter les faits accomplis et viendraient peu à peu se replacer sous la direction de leurs anciens chefs. M. Disraeli était donc à peu près seul pour tenir tête à tous les orateurs et à tous les hommes d’affaires de la chambre des communes : il n’y avait guère à ses côtés que lord John Manners qui eût quelque habitude de la parole et qui fût certain de se faire écouter ; il fallait faire violence à la modestie des uns ou vaincre la timidité des autres pour les déterminer à intervenir dans une discussion, ou lancer en avant des jeunes gens dont l’ardeur ne compensait pas l’inexpérience. M. Disraeli avait donc à porter tout le poids des débats : politique étrangère, finances, administration intérieure, il fallait être prêt sur toutes les questions, avoir un avis et parler sur toutes. M. Disraeli en sortit à son honneur en s’imposant un travail surhumain ; ce romancier se fit tour à tour financier, diplomate et administrateur ; il argumenta sur les traités contre lord Palmerston, il discuta les budgets de sir Ch. Wood, de sir George Cornwall Lewis et de M. Gladstone ; il défendit les principes conservateurs contre M. Cobden, M. Bright et la cohorte