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de loi qui reproduisirent avec quelques modifications la mesure primitive. La discussion dura plusieurs semaines : M. Disraeli en porta le poids avec lord Stanley et avec sir E. Lytton Bulwer, l’ami de sa jeunesse[1], qui venait, sur ses instances, d’accepter le ministère des colonies, apportant au cabinet l’appui de son éloquence et de sa haute réputation littéraire. Était-il possible de fermer les yeux à la transformation qui s’opérait graduellement dans le parti tory, quand un libéral aussi éprouvé pouvait, sans renier ses antécédens, faire partie d’un ministère conservateur ? M. Cobden, déjà, n’avait-il pas exprimé publiquement ses regrets d’avoir, en 1852, contribué à renverser le premier cabinet de lord Derby ?

Malgré les succès de cette session, les jours du ministère étaient comptés : il n’avait point la majorité dans la chambre des communes, et il ne pouvait se maintenir qu’en détachant quelques libéraux de la coalition latente qu’il trouvait toujours devant lui ; mais au moindre pas en avant, un certain nombre de tories prenaient l’alarme, se tournaient contre le ministère et lui faisaient reperdre d’un côté les voix qu’il pouvait avoir gagnées de l’autre. Le cabinet en fit de nouveau l’épreuve dans la session de 1855, à propos de la réforme électorale. En 1852, lord John Russell, dans l’espoir de créer un abîme entre lord Palmerston et les whigs, avait déclaré que le moment était venu de reprendre et de compléter l’œuvre de 1832 ; il avait présenté un bill de réforme électorale qui ne fut pas même mis en discussion, à cause de la chute du ministère. Ajournée pendant la guerre de Grimée, cette question d’une nouvelle réforme électorale avait reparu après le rétablissement de la paix, et elle faisait depuis lors partie du programme des libéraux. Dès le jour où elle avait été soulevée, M. Disraeli avait pris une position très nette, tout à fait conforme aux sentimens qu’il avait toujours exprimés. Les conservateurs, avait-il dit, avaient loyalement accepté le bill de 1832 ; mais ils n’avaient aucun motif de se faire les défenseurs systématiques d’une législation qui avait été dirigée contre eux, lorsque les auteurs de cette législation étaient les premiers à la déclarer insuffisante et défectueuse. Le parti conservateur n’aurait pas pris l’initiative de toucher à la loi électorale, si les whigs avaient continué à respecter leur œuvre ; mais du moment que ceux-ci proposaient eux-mêmes de la modifier, les conservateurs ne pouvaient avoir d’objection à une révision qui serait faite dans un esprit de justice et d’impartialité, et qui, en accroissant le nombre des électeurs, ne toucherait point aux droits acquis. La division du territoire en districts électoraux égaux, comme le demandait M. Bright, sans avoir égard à

  1. C’est le fils de sir E. Lytton Bulwer qui est aujourd’hui vice-roi de l’Inde.