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Tauffkirchen n’avait pu mener à bonne fin, cela tient principalement à ce qu’alors le différend, était vert et cru ; en douze ans il a eu Le temps de mûrir, et ce n’est pas en diplomatie que le temps ne fait rien à l’affaire.

Au surplus, ce qui facilite beaucoup le succès d’une négociation, c’est la souplesse de l’homme avec qui l’on traite. En 1867, le ministre qui dirigeait la politique étrangère de l’empire austro-hongrois était un homme fort distingué, mais que par malheur M. de Bismarck ne pouvait souffrir. En vain le comte de Beust affirmait-il que les passions, les sentimens et les souvenirs n’exerceraient aucune influence sur ses déterminations, il a prouvé plus d’une fois qu’il se souvenait. Les propositions qu’on lui apportait de Berlin excitaient en lui une incurable défiance, il faisait sonner la pièce sur le marbre pour s’assurer qu’elle n’était pas fausse. A son tour, quoi qu’il pût dire, quoi qu’il pût faire, il était toujours en butte aux soupçons, et on sait que de son propre aveu le chancelier de l’empire germanique n’attache pas plus d’importance aux paroles d’un homme qui lui est suspect « qu’au bruit du vent dans une cheminée. » La situation a bien changé, le successeur de M. de Beust s’est toujours montré animé de tout autres dispositions et du plus sincère désir de s’entendre avec Berlin. M. de Bismarck aime à trouver dans tous les hommes qu’il emploie et dans tous ceux avec qui il traite deux qualités qui ne s’accordent pas toujours ensemble, une intelligence très ouverte et une parfaite docilité. Il méprise les gens qui ne devinent pas, il déteste ceux qui résistent, il n’a jamais pardonné à personne de lui avoir répondu : « Je ne comprends pas ou je ne peux pas. » Le comte Andrassy s’est toujours appliqué à le comprendre, et il n’a jamais dit : C’est impossible. Pendant toute la guerre d’Orient, il a suivi ponctuellement tous les conseils qui lui venaient de Varzin ; il a oublié qu’il était Hongrois, il s’est laissé persuader que le premier devoir de l’Autriche est de s’étendre à l’est et de laisser ses destinées s’en aller au fil de l’eau, emportées par le courant du Danube. Il s’est abstenu quand on l’engageait à s’abstenir, il n’a pris que ce qu’on l’autorisait à prendre. Sa confiance dans la sincérité et dans le bon vouloir de son conseiller a été absolue. Il l’avait déjà prouvé en 1875, lorsque le bruit se répandit que l’Allemagne songeait à chercher quelque vilaine chicane à l’un de ses voisins. Il a laissé l’Angleterre et la Russie s’émouvoir, il ne leur a point disputé le périlleux honneur de sauver la paix du monde. Il déclara que pour sa part il lui était impossible d’attribuer un noir dessein et de méchantes pensées au chancelier de l’empire germanique, il se porta garant de son innocence et on lui en fut reconnaissant. C’est ainsi que se fondent les longues et solides amitiés.

On savait en Allemagne que le comte Andrassy représentait l’entente cordiale entre Vienne et Berlin ; aussi la nouvelle de sa retraite, à