Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la complexité des rapports sociaux ; il est même impossible d’arriver ici à une exactitude absolue et scientifique. D’autre part, si une limite n’est pas fixée bien ou mal, la collision sera perpétuelle entre les différens individus dans l’exercice extérieur de leurs droits. Comment donc remédier dans la pratique à cette difficulté de la théorie, afin d’éviter le plus possible les collisions et les conflits ? — Souvenons-nous d’abord que l’économie politique nous offre un problème analogue dans la question si difficile de la valeur. Existe-t-il une règle absolue et infaillible pour déterminer la valeur des choses et par cela même le prix exact qu’elles devraient coûter ? Non ; le rapport précis d’une marchandise avec le travail qu’elle a exigé, avec les services qu’elle peut rendre, avec le besoin qu’on en a, avec la quantité d’autres marchandises du même genre qui est demandée et avec la quantité qui est offerte, est une résultante des plus complexes, qui varie même à chaque instant parce qu’à chaque instant il y a production nouvelle et consommation, comme à tout moment la température varie, bien que la variation puisse être insensible pour nos thermomètres. Quelle est la conclusion que les économistes en tirent ? C’est que les individus, tout en s’efforçant de trouver la vraie valeur des objets, doivent suppléer à l’infaillibilité qui leur manque par un libre débat et par un libre accord. Le conflit de l’offre et de la demande aboutit à un véritable contrat d’échange, et l’accord des libertés fournit ainsi une solution de justice pratique, sinon d’absolue exactitude scientifique. En un mot, les volontés créent ou fixent la valeur par leur accord. — De même, nous ne pouvons, en jurisprudence ou en politique, déterminer avec une rigueur parfaite le minimum de limitation que les libertés devraient actuellement s’imposer à elles-mêmes pour s’exercer chacune en sa véritable sphère ; mais la première et la meilleure solution d’un problème qui concerne la limite commune des libertés, c’est l’accord des libertés mêmes sur ce point. La borne à trouver appartenant à deux domaines distincts, c’est aux deux intéressés à la fixer. Si plusieurs libertés qui se rencontrent et qui, dans leur exercice extérieur, aboutiraient à une collision, fixent ainsi en commun leurs sphères d’action mutuelles, et si elles respectent ensuite volontairement la borne volontairement acceptée, nous aurons trouvé ce que nous cherchions tout à l’heure : la moindre altération possible des libertés et le moindre écart du droit idéal. On a comparé les libertés humaines aux dieux d’Homère qui, descendus dans la mêlée, se reconnaissent pour des immortels ; elles se disent l’une à l’autre : — Nous ne pouvons nous anéantir mutuellement, mais nous pouvons blesser nos organes ; au lieu d’une lutte brutale, acceptons le pacte de l’égalité.