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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/444

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si ce capital est, par exemple, de 50 milliards, on le réduit tout à coup d’environ 5 ou 6 pour 100, et comme ces 5 ou 6 pour 100 utilisés auraient produit plus que leur équivalent et donné un bénéfice, il en résulte qu’en prélevant 2 ou 3 milliards à l’origine de la production sur le fonds de roulement, on lui fait tort, non-seulement de l’importance du prélèvement, mais de ce que le bénéfice y aurait ajouté. Tandis que, si on les prend lorsque la production a accompli son œuvre, que les objets vont aller à leur destination définitive, c’est-à-dire au consommateur, le dommage est beaucoup moindre ; on diminue la part de chacun de ce qui a été enlevé par l’impôt, mais rien de plus. Et comme ce prélèvement s’est exercé en général d’une façon très facile, sans qu’on s’en aperçût beaucoup, il n’a point causé de découragement. Il a pu même arriver que chacun a fait un effort de plus pour regagner le montant de l’impôt de façon à désintéresser le fisc sans qu’il en coûtât rien à la richesse publique. Par la voie inverse, vous commencez par diminuer la force productive, l’impôt est fortement senti, et loin d’être un stimulant pour le travail, il peut amener du découragement. En un mot, la question est de savoir s’il vaut mieux prendre l’eau à sa source lorsqu’elle est encore peu abondante, ou à son embouchure lorsqu’elle s’est grossie de tous ses affluens.

Le duc de Broglie a disculpé aussi les impôts indirects d’un autre reproche qu’on leur adresse souvent, qui est de pouvoir élever beaucoup sans qu’on s’en aperçoive et de pousser ainsi les états à des dépenses exagérées. Ce reproche n’est pas très fondé. Les impôts indirects se sentent parfaitement lorsqu’ils dépassent la mesure. Et alors il se produit un double phénomène : ils ne rendent pas en proportion de l’élévation dont ils ont été l’objet, et la consommation se ralentit, ou tout au moins reste stationnaire. C’est surtout en matière d’impôts indirects, comme l’a dit spirituellement Swift, que deux et deux ne font pas toujours quatre. L’expérience le prouve constamment. Après 1870, à la suite de nos désastres, on a porté de 20 à 25 centimes la taxe des lettres. Cette mesure n’a pas produit les résultats qu’on attendait, et depuis qu’on a abaissé la taxe à le centimes, on est presque arrivé aux mêmes chiffres comme recettes, et on a réalisé un immense progrès dans la correspondance. On s’aperçoit parfaitement aussi que le droit de mutation sur les immeubles est trop élevé ; il donne lieu à une fraude considérable, et ne rend pas autant qu’il devrait le faire ; on gagnerait certainement à le diminuer. Par conséquent, pour les taxes indirectes comme pour les autres, il faut de la mesure. Seulement les premières, lorsqu’elles sont modérées, passent à peu près inaperçues et ont même quelquefois pour effet d’activer le progrès de la richesse si l’état emploie bien l’argent qui en