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deux empires se manifesterait tout d’abord par un affaiblissement des garanties parlementaires au moment même où la situation de l’Europe semblerait s’assombrir. On veut être armé de prérogatives, de ressources financières et de forces militaires pour toutes les éventualités. Il resterait à savoir si on ne contribue pas soi-même à créer des dangers contre lesquels on prétend se prémunir, si ces accroissemens de pouvoir, ces armemens, sont légitimés par des crises réelles, suffisamment imminentes, ou si ces crises ne sont pas exagérées avec intention pour justifier les mesures exorbitantes qu’on propose. Voilà encore un problème qui vient s’ajouter à tous les autres.

L’Espagne, heureusement pour elle, n’a point de ces préoccupations générales. Elle a ses difficultés qui tiennent à sa situation, à ses révolutions passées ; elle n’a point à s’armer contre des dangers extérieurs réels ou imaginaires. Une session nouvelle s’est ouverte, il y a quelques jours, à Madrid, et la première pensée des chambres a été de sanctionner les propositions qui leur ont été faites pour le mariage du roi, pour la dotation de la nouvelle reine. D’ici à quelques jours, tout sera accompli. Il reste maintenant, il est vrai, pour le parlement espagnol, une question bien autrement grave, bien autrement délicate à aborder, celle d’où dépend peut-être le sort de la brillante colonie de Cuba, en un mot, la question de l’esclavage, qu’on ne peut plus éluder. Une commission avait été nommée pour préparer un projet, elle s’était arrêtée à des combinaisons assez compliquées, assez restrictives. Le ministère présidé par le général Martinez Campos n’a pas cru pouvoir se rallier entièrement à ces combinaisons ; il propose, quant à lui, de consacrer dès ce moment le principe de l’abolition de l’esclavage pour tous. Il était évidemment impossible de reculer, de faire des distinctions ; on ne pouvait prolonger l’esclavage pour ceux qui sont restés paisibles lorsque le traité qui a mis fin à la guerre civile a donné la liberté à ceux qui ont pris les armes. Le ministère l’a senti ; le général Martinez Campos était engagé d’honneur, et on propose aujourd’hui l’abolition immédiate en principe, sauf à adopter des tempéramens pratiques, des conditions de patronage dans l’intérêt des esclaves eux-mêmes autant que des propriétaires. C’est sur ce projet ministériel que la discussion va s’ouvrir dans les chambres de Madrid, et elle sera dominée par une considération souveraine, celle de la force des choses, de la nécessité, qui fait de l’abolition de l’esclavage la condition de la prospérité, de la sécurité même de la plus brillante des possessions espagnoles dans la mer des Antilles.


CH. DE MAZADE.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.