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qui concernait les affaires en général aussi bien qu’en ce qui avait rapport à ma personne. J’avais appris à connaître l’empereur Alexandre pendant les négociations de Berlin en 1805, et il me témoigna beaucoup de bienveillance à cette époque. Je devais même, sur sa demande formelle, être envoyé comme ambassadeur à Saint-Pétersbourg en 1806. Les rapports que j’eus en 1807 et 1808 avec son ambassadeur à Paris fortifièrent encore les bons sentimens dont l’empereur était animé à mon égard ; plus tard seulement, lorsque le comte de Romanzof fut envoyé à Paris à la suite des conférences d’Erfurt, une divergence complète entre les vues de ce ministre et les miennes amena un premier refroidissement entre l’empereur Alexandre et moi. Le mariage de l’archiduchesse Marie-Louise et le refus, trop justifié par la nécessité, du cabinet autrichien de conclure une alliance secrète avec la Russie en 1811 firent le reste. Le tzar, qui n’admettait pas de nuances dans la conduite des autres, parce qu’à cette époque sa politique allait toujours d’un extrême à l’autre et ne connaissait pas encore les moyens termes, me soupçonna d’avoir tout à fait passé à la France et de nourrir de graves préjugés à l’égard de la Russie. Dans cette première entrevue, je devais donc m’attendre à rencontrer chez l’empereur ces préventions personnelles dont l’influence est toujours puissante, et à me heurter contre toutes les difficultés que présentait l’attitude politique et militaire de l’Autriche.

J’abordai l’empereur sans aucun embarras. Je ne commençai pas par combattre ses préjugés, mais je ne fis pas mystère toutefois de la conviction où j’étais que la seule ancre de salut pour les alliés, c’était la confiance absolue dans une puissance qui pouvait être très facilement suspectée, si l’on ne connaissait à fond le caractère de l’empereur François ainsi que les principes et la conduite de son cabinet. Je lui affirmai en même temps que rien ne pourrait nous faire dévier de notre route, qu’amenés à une situation qui faisait de nous les sauveurs de l’Europe, nous la sauverions.

L’empereur Alexandre me répondit que je ne devais pas douter de sa confiance, mais que, si l’Autriche ne faisait connaître sur-le-champ ses véritables intentions, c’en était fait à ses yeux de la cause commune.

Comme je ne pouvais ni ne voulais abandonner la marche que je m’étais proposé de suivre, et qui seule, selon moi, pouvait assurer notre salut, je déclarai à l’empereur que j’étais prêt à lui exposer tout notre plan, mais que je ne voudrais pas lui donner l’espérance trompeuse que nous consentirions jamais à y renoncer ou même à le modifier dans ses parties essentielles. Je persistai à maintenir la nécessité absolue de la médiation de l’Autriche, et je lui demandai de la reconnaître formellement. — Que deviendra notre cause, me