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devenir Mme Falconet. Mais le coup était porté ; quelques nouveaux conflits survinrent ; peut-être un peu de jalousie de part ou d’autre, sur ce terrain dangereux, puis quelques discussions sur l’art, qui s’envenimèrent, et le divorce s’accomplit.

Nous n’avons pas de récit suivi du séjour de Diderot à la cour de Catherine ; mais ses lettres de cette époque et les conversations qu’il eut à son retour en France sont pleines de détails, qui naturellement sont à la gloire de Catherine et aussi à la sienne. « J’ai eu l’honneur, écrit-il à la princesse Dashkof, d’approcher sa majesté impériale aussi souvent que je pouvais le désirer, plus souvent peut-être que je n’eusse osé l’espérer… Ailleurs on garde le silence, mais non dans le cabinet de sa majesté. Je puis vous assurer positivement que le mensonge n’entre pas dans ce lieu quand le philosophe s’y trouve. « Il mande à Mlle Volland « que cet intervalle de sa vie a été le plus satisfaisant qu’il était possible pour l’amour-propre. Oh ! parbleu, il faudra bien que vous m’en croyiez, ajoute-t-il, sur ce que je vous dirai de cette femme extraordinaire : car mon éloge n’aura pas été payé. » Après lui avoir fait le plus bienveillant accueil, l’impératrice lui a permis l’entrée de son cabinet tous les jours depuis trois heures jusqu’à cinq ou six, et ce ne fut pas sans doute un médiocre étonnement, à cette cour illettrée et fastueuse, de voir, pendant plusieurs mois, se continuer ces entretiens quotidiens et intimes entre la grande et redoutée Catherine et cet homme de mise négligée, qui entrait chez elle dans son costume ordinaire, vêtu comme on le voyait à Paris, d’un habit brun, avec une perruque fort simple, du linge uni, un bâton à la main. C’est là un côté fort honorable du caractère du philosophe : il sut faire accepter la simplicité de son costume, « les gaucheries sans nombre » que soupçonne Mme de Vandeul, et la franchise de quelques-unes de ses opinions, tempérée, il est vrai, par les louanges excessives dont nous recueillons l’écho dans la Correspondance.

De quoi il fut question dans ces longues conversations qui durèrent plusieurs mois, nous le pouvons deviner sans peine d’après les allusions qu’il y fait et les projets de travaux qu’il emporta de Saint-Pétersbourg. Il s’agit de politique générale, de philosophie sociale, d’enseignement, de tolérance, des beaux-arts aussi et des lettres : « Vous n’avez pas oublié sans doute, dit-il à la princesse Dashkoff, avec quelle liberté vous me permettiez de vous parler dans la rue de Grenelle. Eh bien ! je jouis de la même liberté dans le palais de sa majesté. On m’y permet de dire tout ce qui me passe par la tête ; des choses sages peut-être, quand je me crois fou, et peut-être très folles quand je me crois sage. Les idées qu’on