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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/641

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comme il en avait été question au congrès de Paris. Le prince Albert et la reine Victoria ne partageaient pas la confiance du chef du Foreign Office, Le 9 décembre, la reine adressait à son ministre des affaires étrangères une lettre écrite évidemment sur le conseil ou tout au moins avec l’approbation du prince consort. Nous y lisons : « La reine est fort alarmée de ce que lord Cowley écrit au sujet de l’intention qu’on prête à l’empereur Napoléon de faire la guerre en Italie… S’il donne suite à ce projet, la guerre peut gagner l’Allemagne d’abord et ensuite la Belgique : auquel cas nous serions obligés de faire honneur à la garantie que nous avons donnée à cet état, et la France finirait par avoir toute l’Europe contre elle, comme en 1814 et en 1815. » Le prince Albert, de son côté, écrivait le lendemain de la déclaration de Napoléon III à M. de Hübner : « Je suis très inquiet pour le printemps prochain, car personnellement je n’ai pas douté un seul instant, depuis ces derniers temps, que l’empereur ne voulût la guerre et qu’il ne la voulût contre l’Autriche. »

L’empereur avait donc abattu ses cartes devant l’Angleterre. Celle-ci ne voulait mettre au jeu ni avec la France, ni avec l’Autriche, encore moins avec la Russie. Saint-Pétersbourg lui était odieux à cause de la rivalité traditionnelle des deux pays en Orient ; Vienne lui était antipathique à cause de l’appui prêté par l’Autriche aux gouvernemens arriérés et despotiques de la péninsule italienne ; Paris lui était suspect à cause des projets impériaux de remaniement de la carte de l’Europe. La conséquence était forcée : un rapprochement devait se produire entre les cours de Londres et de Berlin. Il était rendu plus facile par le mariage de la princesse Victoire avec le fils du prince régent de Prusse, par l’avènement à Berlin d’un ministère libéral et constitutionnel, qui venait de remplacer le cabinet Manteuffel, et enfin par la situation, les relations et les sentimens du prince Albert, qui, tout en devenant très Anglais, n’avait pas cessé d’être un peu Allemand.

Napoléon III ne fut pas longtemps sans savoir ce qui se passait entre Londres et Berlin. Il fut extrêmement ému de ce rapprochement. Il se persuada qu’on machinait contre lui une coalition entre l’Angleterre, la Prusse et l’Autriche, et que les meneurs de toute l’affaire étaient le prince Albert, le roi des Belges, son oncle, et le duc de Saxe-Cobourg, son frère. Il s’expliqua très vivement à cet égard avec un agent du roi Léopold. Il ajouta que la cour de Bruxelles ne lui paraissait pas se rendre un compte très exact de sa situation : « La Belgique, dit-il, ne peut exister qu’à la condition d’une union intime avec la France. D’ailleurs ce n’est pas seulement ma politique ; c’était aussi celle du roi Louis-Philippe