Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réclamer en même temps la restitution de la collation des grades à l’état, quelle écrasante majorité n’eût-on pas encore obtenue ! Quelques voix isolées se seraient peut-être élevées pour la forme ; mais elles seraient bien vite retombées sans force et sans écho.

Au lieu de cela, ; qu’a-t-on fait ? On est venu, sans autres preuves que quelques méchantes citations, sans autre enquête qu’une inspection superficielle et sans autre raison que la raison du plus fort invoquée brutalement, dénoncer et flétrir les congrégations. Au lieu d’étudier des réformes que le corps universitaire est le premier à réclamer et de se présenter devant les chambres avec un projet réfléchi, on s’est lancé dans une poétique de violence et d’oppression. On n’essaie pas de lutter contre la concurrence ; on trouve plus simple de la supprimer ; On ne cherche pas à s’amender, on aime mieux proscrire. On est un ministre de l’instruction publique et l’on voudrait d’un seul coup éteindre cent cinquante ou deux cents foyers d’enseignement !

C’est pourquoi nous sommes bien rassuré ; une telle politique a pu trouver une majorité de circonstance et de passion, elle ne prévaudra jamais devant une assemblée calme et posée. Le sénat s’est contenté jusqu’à ce jour d’un rôle modeste. Il aurait pu, dans plus d’une circonstance déjà modérer l’allure un peu vive ides deux autres pouvoirs publics. Il ne l’a pas essayé, soit : que les questions sur lesquelles il se trouvait en dissentiment avec la chambre et le gouvernement ne lui parussent pas assez importantes, soit qu’il voulût mettre de son côté la patience et la modération. Tant de réserve était peut-être excessif ; beaucoup l’ont dit, un plus grand nombre l’a pensé. Tel n’est pas notre avis : si le sénat avait abusé des droits qu’il tient de la constitution, il aurait eu quelque peine à entraîner l’opinion. A l’heure qu’il est, elle le précède, elle l’attend. C’est le 16 mai renversé. Quand le sénat vota la dissolution en 1876, ce fut sans grande conviction ; il eut le sentiment qu’il commettait une faute, et la suite a prouvé qu’il ne se trompait pas. Bien différente est aujourd’hui sa situation : la France a protesté contre les projets de M. Ferry par dix-sept cent mille signatures et par la voix de quarante-cinq conseils généraux. Avec un pareil effectif derrière soi, la haute assemblée peut envisager froidement toutes les éventualités dont on la menace. Quoi qu’il arrive, elle n’a pas à craindre d’aller contre le vœu du pays en se plaçant résolument sur le terrain de la liberté d’enseignement ; Elle est sûre en tout cas d’y rencontrer ceux qui ont encore quelque souci de la justice et du droit, et cela seul importe à son honneur.


ALBERT DURUY.