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il est souverain, et s’il n’use pas souvent de ce droit de veto, c’est que les propositions des compagnies ont toujours été jusqu’à ce jour parfaitement justifiées.

L’état intervient par toute une réglementation à l’exécution de laquelle il veille par les agens du contrôle : interdiction de traités particuliers, interdiction de relever les tarifs spéciaux avant un délai déterminé; il est, du reste, sans exemple que les tarifs une fois abaissés aient été relevés.

En dehors de la réglementation administrative, il joue auprès des compagnies un rôle de modérateur et de conseil; il représente auprès d’elles l’intérêt général, et il le représente avec désintéressement. Aussi ses conseils sont-ils toujours écoutés avec respect, discutés avec déférence, et finalement presque toujours suivis. Répétons le mot de M. Rouher à la chambre : « Quand j’étais aux travaux publics, je n’ai jamais rencontré de résistance aux demandes justes que j’ai faites aux grandes compagnies. »

Mais il est une intervention de l’état, bien plus importante encore et sur laquelle il importe d’insister pour en préciser le caractère : l’état est l’associé des compagnies.

Tout le monde sait que l’état garantit un certain intérêt aux capitaux des compagnies, mais très peu de gens dans le public connaissent exactement la manière dont fonctionne cette garantie. Ce mécanisme est en effet, assez compliqué, si on veut entrer dans les détails; mais il est aisé d’en faire comprendre l’esprit général. Nous allons l’essayer.

A l’origine des chemins de fer, on était fort incertain sur leur avenir, et on eut quelque peine à trouver des concessionnaires pour les grandes lignes. Cette incertitude s’est trouvée justifiée en 1848, car il a fallu mettre l’Orléans sous séquestre et racheter le Lyon, dont le crédit était épuisé. Mais, dès que les événemens politiques le permirent, le calme se rétablit. Dix ans après, les grandes lignes étaient faites, on voyait plus clair dans la question, on demandait déjà à établir des lignes concurrentes aux grandes artères, et, d’autre part, il fallait desservir par de nouveaux chemins de fer les régions laissées en dehors du tracé des lignes primitives. Il était évident que ces lignes secondaires ne feraient pas leurs frais; mais, avec une grande sûreté de vues, le gouvernement d’alors comprit qu’après une période de perte qui pouvait durer une quarantaine d’années, on verrait le trafic se développer assez pour que ces lignes secondaires elles-mêmes donnassent aux capitaux un intérêt rémunérateur. Aucun capitaliste n’aurait consenti à courir cette aventure de faire une opération à si longue échéance ; l’état seul en était capable.