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plus achevées et les plus durables; aux cercles, les portraits de commande ou de complaisance, les tableaux faits vite, les ébauches bien venues. Aussi, quoique les expositions des cercles soient des Salons de choix, car il y a peu de tableaux, et tous ces tableaux ont pour auteurs des artistes connus, la plupart hors concours, ces expositions n’ont pas un intérêt sérieux au point de vue de l’art. On n’y trouve pas l’ivraie, mais on n’y trouve pas non plus le meilleur grain. Les proportions relativement restreintes des salles en proscrivent la grande peinture. Enfin, les débutans n’y exposent point. Donc, pas la moindre surprise, pas la moindre révélation. Il est certain que l’exposition des envois de Rome, où il n’y a quelquefois que six toiles pleines de défauts, est souvent plus intéressante que l’exposition d’un cercle où il y a cent cinquante tableaux de vrai mérite.

Aux expositions des cercles, le critique ne se sent ni à sa place ni dans son rôle. Sa place est dans les musées, où il apprend sans cesse. Son rôle est de saluer les débuts et les promesses, de marquer les progrès et les défaillances, d’étudier les transformations qui s’opèrent dans la manière d’un maître; ce n’est pas de décrire dix fois de suite le même tableau du même peintre, de constater chaque année les grâces mièvres des portraits de M. Jacquet ni de bien préciser en 1880 que l’Espagnol de M. Worms est assis et porte une culotte bleue, comme il a bien précisé en 1879 que ce même Espagnol était debout et portait une culotte noire. L’écureuil qui tourne sans cesse dans sa cage ne fait pas un métier plus monotone et plus inutile. Quand un nouveau venu, comme M. Roll, expose en 1877 la grande toile dramatique de l’Inondation de Toulouse et en 1879 le Triomphe de Silène, d’une exécution si large et si puissante; quand un portraitiste comme M. Carolus Duran, qui pendant dix ans a été de succès en succès, se surpasse dans un chef-d’œuvre absolu : le portrait de Mme Vandal; quand un peintre comme M. Donnat, qui a traité tous les sujets avec un égal talent, donne l’expression la plus haute et la plus forte de ce talent dans le portrait de M. Thiers; quand enfin un maître comme M. Meissonier abandonne ses admirables petites figures de joueurs d’échecs, de reîtres François Ier, de raffinés Louis XIII et de gentilshommes Louis XV, et aborde le grand tableau d’histoire militaire dans 'Dix-huit cent quatorze' et dans Dix huit cent sept, alors on conçoit le rôle du critique. Mais, puisque nous sommes au cercle de la place Vendôme et que nous parlons de M. Meissonier, en quoi les deux tableaux qu’il expose, le Voyageur et la Vue d’escalier, intéressent-ils l’histoire de l’art et la critique? en quoi peuvent-ils ajouter à la grande réputation de M. Meissonier? Ses admirateurs connaissent de lui vingt, cinquante tableaux analogues, et dans le nombre ils se rappellent en avoir vu de meilleurs. On ne peut pas dire que M. Meissonier soit en progrès, on ne peut pas dire qu’il soit