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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/224

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Pour mieux te regarder, j’irai sur la colline,
Sur la colline abrupte, où, dans les vallons verts,
Le pâle citronnier vers le myrte s’incline,
Penchant ses fruits amers.

De là je te contemple:inondé de lumière,
Ton horizon lointain se mêle avec les cieux ;
Je sens mon œil s’y perdre, et je t’admire, ô mère
De Vénus aux yeux bleus.

Au sein des flots déserts on voit un point qui tremble ;
Ce sont des alcyons en troupe, blancs oiseaux ;
On dirait un seul corps lorsque, bercés ensemble,
Ils dorment sur les eaux.

Soudain un bruit se fait, et la troupe s’égrène,
Effrayée et fuyant au plus profond des airs.
Et l’on voudrait comme eux monter à perdre haleine
Dans les cieux entr’ouverts.

Toi qui bornes le monde en nous ouvrant l’espace,
Toi qui suspends nos pas sans arrêter nos yeux,
C’est surtout sur tes bords que l’œil aime, envieux,
Suivre un oiseau qui passe.

Tu rends l’immensité si tentante qu’un jour.
Dit la fable, un enfant voulut d’un seul coup d’aile
Te franchir : ivre, il part ; son aile qui chancelle
L’emporte sans retour.

Il va:le vent des mers a rempli sa poitrine ;
Il voit devant ses yeux l’horizon s’élargir,
L’attirer en fuyant ; l’espace le fascine,
Grand comme son désir.

Il monte… il tombe, il meurt ; mais de sa longue ivresse
Quelque chose en nos cœurs, j’imagine, est resté :
Et c’est de là que vient, devant l’immensité,
Ce trouble qui m’oppresse.