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Gretchen? Et Gretchen tenait beaucoup à me faire goûter son pieux «barde de Quedlinbourg ! » Oui, messieurs, j’ai lu la Messiade, j’en ai lu deux ou trois chants au moins, et j’ai béni le décret ministériel qui vint me délivrer à point de Mecklembourg, du barde de Quedlinbourg et de Gretchen.

LE PRINCE SILVIO :

Quel giorno più non vi leggemmo avante[1]!..

Je ne recommanderai certes pas la lecture de la Messiade comme
un passe-temps agréable; mais pour l’esprit réfléchi, ce n’en est
pas moins un phénomène plein d’enseignement que cette double
éclosion des poèmes de Milton et de Klopstock au sein du protestantisme, que cette séparation tranchée, absolue, entre la Justice
et la Grâce jusque dans le domaine de l’imagination créatrice...
Fils d’un siècle de haines religieuses et de violences politiques,
le poète puritain, l’ancien secrétaire du conseil d’état de Cromwell, échoue avec éclat dans sa tentative du Paradis reconquis : il
n’est puissant, il n’est lui-même que lorsqu’il chante la chute et la
damnation. C’est le même esprit âpre et inflexible qui justifie, dans
l’Iconoclaste, le supplice de Charles Ier, et qui dans le Paradis perdu, fait prononcer à Dieu contre Adam déchu l’arrêt sans
merci : « Il faut qu’il meure, lui et sa postérité; qu’il meure, ou meure la Justice ! »

<POEM>But to destruction sacred and devote,
He, with his whole posterity, must die;
Die he or justice must[2].


Dans une époque plus calme, par contre, et éprise de tolérance, Klopstock choisit pour sujet la Rédemption[3]; il ne raconte d’Adam que l’idylle de sa fin douce et résignée, il a pitié d’Abadonna, et il fait misérablement naufrage toutes les fois qu’il aborde les sombres régions de notre nature et de nos destinées. Dante seul a su être le fils de l’église éternelle, — de l’église militante aussi bien que de l’église souffrante et triomphante; — au lieu de rester uniquement, comme Milton ou comme Klopstock, l’enfant de son siècle, il a embrassé le grand ensemble du problème mystérieux, il a compris dans la même œuvre la justice, la grâce et le mérite, et retracé avec un art égal les terreurs de la géhenne, les espérances

  1. Inf., V, 136.
  2. Paradise lost, III. 208-210.
  3. Gervinus, Gesch. d. Litteratur, t. IV, ch. IX, 4.