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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/256

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du Purgatoire, les joies ineffables du Paradis. Car rien de plus erroné que l’opinion vulgaire qui ne voit dans Alighieri que le poète toujours lugubre et farouche, aux éclats pathétiques et aux sinistres imprécations. Cela vient, je pense, de ce que la plupart des prétendus lecteurs de Dante, — les étrangers surtout, — ne connaissent de lui tout au plus que l’Enfer; mais ce n’est pas à vous, messieurs, qu’il faut rappeler tous ces chants du Purgatoire et du Paradis, où respirent une mansuétude, une suavité, une douceur incomparables, tant de tableaux frais, charmans et tranquilles, dessinés d’une main caressante et éclairés de la lumière d’un sourire, — col lume d’un sorriso[1].

Le dirai-je? pour ce qui regarde ce problème si épineux de la damnation et du salut, je trouve à notre poète catholique, à l’homme de ce moyen âge tant décrié à cause de ses ténèbres, une ouverture d’esprit et une charité de cœur que je ne m’aviserai pas de demander aux chantres protestans du Paradis perdu et de la Messiade. Il faut lire en effet le XVIIIe et le XIXe chant de Klopstock qui parlent du jugement dernier, pour connaître tout ce que le zèle luthérien peut receler d’étroitesse et de sécheresse, même, dans un siècle éclairé et bénin; tandis que Dante va jusqu’à penser qu’au jour du jugement, tel qui n’a point connu le Christ sera plus près du fils de Dieu que beaucoup de chrétiens qui l’invoquent sans cesse :

Ma vedi, molti gridan Cristo, Cristo,
Che saranno in giudicio assai men prope
A lui, che tal che non conobbe Cristo[2].


La rédemption de tous ceux qui ont pratiqué la vertu sans avoir reçu la grâce du baptême ne cesse évidemment de solliciter l’esprit du mystique pèlerin, elle le préoccupe, elle le tourmente et le jette dans des contradictions bien curieuses. « Un homme naît sur la rive de l’Inde, — se demande-t-il[3], — où personne ne lui raisonne ni ne lui parle du Christ; tous ses desseins et ses actes sont bons autant que la raison humaine peut le guider; il est sans péché dans sa vie et dans ses paroles; et il meurt non baptisé et partant hors de la foi ! Où est la justice qui le condamne ? où est la coulpe s’il n’a point cru?.. » Dante a beau se dire que c’est vouloir sonder l’insondable, vouloir pénétrer des lointains infinis «avec une vue qui ne mesure pas une pa’me; » il a beau même se rappeler l’abîme où tomba le premier des archanges pour n’avoir point attendu

  1. Parad, XVIII, 19.
  2. Parad., XIX, 106-108.
  3. Pour tout ce qui suit, Parad., XIX et XX passim.