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personnes de choix. Ils appartiennent à tous les mondes. Ce sont des rois comme Frédéric, mais ce sont aussi des bohèmes, comme Thieriot. Et si l’on faisait de la correspondance de Voltaire un commentaire perpétuel, si l’on s’imposait la loi de réunir sur chacun de ces correspondans tous les renseignemens que l’on pourrait recueillir, si l’on se donnait enfin la tâche d’expliquer en détail toutes les circonstances, toutes les allusions, toutes les obscurités du texte, je ne vois pas, vraiment, à quel personnage ou quel événement du siècle on n’aurait pas touché.

Il existait deux principales éditions de la Correspondance. La première faisait suite à la grande édition des Œuvres connue sous le nom d’édition de Kehl. Nous ne la rappelons que pour mémoire. Entreprise au lendemain même de la mort de Voltaire, une édition de sa Correspondance ne pouvait être que très défectueuse à tous égards, très incomplète et très infidèle. Condorcet, l’un des éditeurs, avait entre les mains une soixantaine de lettres de Voltaire, il n’en imprima que dix. Mme  Necker en avait une vingtaine : elle refusa de les communiquer, et l’on n’en put donner que trois. On fit aussi trop de catégories. Les correspondances de Voltaire avec Frédéric, avec l’impératrice Catherine, avec d’Alembert, furent classées à part de la Correspondance générale. C’est une disposition que l’on apprécie surtout par ses inconvéniens. Elle a pourtant aussi des avantages, et c’est pourquoi quelques éditions modernes l’ont reproduite. Voltaire tient ensemble en main, si savamment embrouillés, les fils de tant d’affaires, et si diverses, que l’on est parfois bien aise de pouvoir les suivre et les étudier isolément, chacune à part de toutes les autres. C’est ainsi que la correspondance avec d’Alembert, dispersée dans la correspondance entière, interrompue, contrariée par des lettres au cardinal de Bernis, au maréchal de Richelieu, et autres personnes qui ne sont pas de « la grande boutique encyclopédique » n’a plus du tout son vrai caractère d’intolérance philosophique, et ne respire plus la même odeur de « secte et de complot. » La remarque est de Sainte-Beuve, et sans passer soi-même pour une autre espèce de fanatique, on peut l’approuver et se l’approprier.

La seconde grande édition de la Correspondance remplit les vingt derniers volumes de l’édition Beuchot. Depuis 1787 il était venu s’ajouter de nombreux recueils au recueil rassemblé par les éditeurs de Kehl. Beuchot les incorpora dans son édition et distribua le tout dans l’ordre rigoureusement chronologique. Il n’était pas le premier qui s’en fût avisé. Ce lui fut néanmoins un long et pénible labeur, si pénible et si long, qu’en dépit de tout scrupule il l’abrégea. Lui-même déclare que, pour ne pas grossir démesurément une collection déjà considérable, il a négligé beaucoup de pièces dont l’intérêt lui semblait secondaire. Voilà une liberté qu’aujourd’hui nous ne passerions à l’éditeur d’aucun de nos grands écrivains. D’autre part, quelques éditeurs de quelques