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L’ALSACE-LORRAINE ET L’EMPIRE GERMANIQUE.

ne s’est révélée en Alsace-Lorraine que par une complète impuissance : c’est là un fait que les Allemands eux-mêmes, lorsqu’ils sont de bonne foi, n’essaient plus de nier. Spectateur impartial, et volontairement étranger aux haines qui divisent les deux nationalités, nous exposions ici, il y a deux ans[1], les conséquences que l’introduction du régime allemand en Alsace-Lorraine a produites pour cette province, au point de vue économique, social, politique et administratif. Nous n’avons rien à retrancher ni à modifier au tableau que nous tracions alors, et puisque la situation est, au fond, restée la même, il pourra n’être pas sans intérêt de rechercher quelles peuvent être les causes de l’échec si persistant que l’Allemagne éprouve dans l’œuvre de germanisation de sa conquête : cette étude nous permettra d’entrevoir dès à présent ce qu’il faut penser des chances de succès qu’offre à la politique allemande le nouveau régime inauguré en Alsace-Lorraine, depuis le 1er octobre dernier, sous la haute direction du feld-maréchal de Manteuffel. Les essais de conciliation tentés par cet homme d’état éminent, dont la position est si fort rehaussée par les services rendus à son pays et par la confiance qu’il inspire à son souverain, méritent d’être l’objet d’un examen particulier ; c’est pourquoi, après avoir jugé l’œuvre de ses prédécesseurs, nous nous proposons d’apprécier ses premiers actes dans une autre étude.

I.

Quand, il y a bientôt dix ans, la France, épuisée et à terre, n’obtint la paix qu’au prix d’une rançon jusqu’alors sans exemple et de l’abandon de deux de ses plus riches provinces, l’avenir s’ouvrait si sombre pour les vaincus et se levait si radieux pour l’empire germanique naissant, que ceux-là même qui, fidèles à leur foi, s’obstinaient à espérer contre toute espérance et comptaient le plus sur le patriotique attachement qui liait les populations alsaciennes à la France, n’osaient pas attendre d’elles plus de deux ou trois ans de résistance aux moyens puissans que la politique allemande avait tout de suite mis en œuvre pour les germaniser. De Metz et de la partie française de la Lorraine qui partageaient dans ce déchirement le sort de l’Alsace, nul ne doutait ; mais, disait-on, si quelque retour de fortune, sur lequel il était insensé de compter, ne vient pas promptement défaire cette œuvre édifiée par la force, on verra bientôt l’Alsace devenir aussi allemande qu’elle avait été française jusque-là, et la terre des Kléber, des Kellermann, des Rapp et des Lefebvre confondre librement ses des-

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1878.