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avec une rampe en fer d’un très beau travail conduisait aux appartemens du premier, dont les plafonds étaient ornés de peintures mythologiques et les murailles décorées d’arabesques et de médaillons[1]. Ce fut là que M. et Mme Necker demeurèrent jusqu’au moment où ils s’établirent au contrôle général, et qu’ils tinrent un salon d’abord purement littéraire, auquel ne se mêla que plus tard, pendant et après le passage de M. Necker aux affaires, un nouvel élément, social et politique. Le jour que choisit Mme Necker pour rassembler habituellement ses amis fut le vendredi, qu’on lui conseilla d’adopter pour ne pas faire concurrence aux lundis et aux mercredis de Mme Geoffrin, aux mardis d’Helvétius, aux jeudis et aux dimanches du baron d’Holbach. Mais lorsqu’elle donnait à dîner, elle avait soin qu’il y eût toujours quelque plat maigre pour ceux de ses convives (en bien petit nombre sans doute) qui se conformaient aux prescriptions de l’église. Les vendredis de Mme Necker ont été rendus fameux par ces vers de Voltaire :


Vous qui chez la belle Hypatie
Tous les vendredis raisonnez
De vertu, de philosophie
Et tant d’exemples en donnez…


Le vendredi était en effet spécialement consacré aux hommes de lettres et aux philosophes, et on devait y raisonner beaucoup. Aussi Mme Necker ne tarda-t-elle pas à faire choix également d’un autre jour qui fut d’abord le mardi et qui conserva toujours un caractère différent et un peu plus intime. « Mme de X. a deux jours, l’un pour les gens d’esprit et l’autre pour les bêtes, dont je suis, » disait spirituellement, il y a une quarantaine d’années, l’amie d’une femme qui recevait un jour de la semaine des hommes de lettres et un autre jour des personnes du monde. Ce n’étaient point les bêtes que Mme Necker recevait le mardi ; mais ce jour-là elle invitait de préférence quelques personnes de la société dont elle avait su se faire des amis et elle se plaisait à les réunir à ceux des habitués du vendredi qui étaient l’objet de sa prédilection. Mme Necker assemblait ses hôtes tantôt à dîner, c’est-à-dire à quatre heures (et encore la marquise de Créquy trouvant que c’était trop tard, jurait qu’on ne l’y prendrait plus), tantôt à souper (la quatrième fin de l’homme, disait Mme du Deffand, qui avouait ne pas bien se souvenir des trois autres) et alors la soirée se prolongeait assez tard avec de nouveaux arrivans. La réception était très aimable et empressée, trop empressée peut-être de la part de Mme Necker, un peu froide et involontairement

  1. L’hôtel Leblanc, qui occupait le no 27 de la rue de Cléry, a été démoli en 1842 pour faire place à la rue de Mulhouse.