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L’ALSACE-LORRAINE ET L’EMPIRE GERMANIQUE.

comme il arrivera dans le reste de l’Allemagne, et qu’elle nécessitât, en tout état de cause, une sentence judiciaire. Demander moins, alors que le code français, — qui passe pour draconien en cette matière, — est cependant à peine assez sévère pour avoir raison de la mauvaise foi qui tente de se coloniser en Alsace-Lorraine, alors que même les non-commerçans pourront recourir à ce moyen expéditif de se décharger de tout ou partie de leurs dettes, c’eût été, en effet, risquer d’ériger la faillite en moyen de parvenir. La restriction fort sage imposée par le Landesausschuss aura de toute façon pour utile conséquence d’exclure du corps électoral et des candidatures aux conseils électifs bon nombre des nouveaux immigrés qui, sans cela, auraient pu légitimement prétendre du même coup au titre de notables et aux avantages de faillis !

III.

Il n’est personne qui, toute question de sympathie ou d’antipathie politique mise à part, n’ait pu constater l’influence fâcheuse que le contact de la colonie allemande a exercée depuis neuf ans sur le niveau moral d’une contrée dont la population poussait volontiers l’honnêteté et la franchise jusqu’au scrupule et à la candeur. Si, de même qu’on juge un arbre à ses fruits, on devait juger de la « culture » allemande par ce qu’elle a le plus fait foisonner en Alsace-Lorraine, il faudrait lui attribuer comme marque distinctive l’esprit de mercantilisme et de lucre qu’exprime si justement le mot de juiverie. Cet esprit perce et se montre partout, en matière financière et fiscale aussi bien que dans les relations commerciales et privées. Qu’il s’agisse de l’intérêt particulier ou de celui du trésor public, tout un monde aux aguets est toujours prompt à venir grappiller dans la vigne d’autrui, bien avant que la vendange soit mûre. L’Allemand, tel qu’il s’est révélé aux Alsaciens, est essentiellement un parasite. Il songe moins à employer ses efforts et son intelligence à créer des richesses qu’à rêver aux moyens de prélever sa part sur celles que d’autres ont produites ou vont produire. Le négoce l’attire plus que l’industrie, et quand M. de Bismarck, dans son langage imagé, parle « d’honnête courtier » ou de « politique de pourboire, » il ne fait qu’emprunter ses figures et ses comparaisons au vif même de la société allemande.

Nous avons déjà signalé, dans notre précédente étude, les difficultés que, par suite de cette habitude passée à l’état de seconde nature, l’Alsace-Lorraine a rencontrées, même auprès de la grande industrie et du haut commerce d’outre-Rhin, pour nouer avec l’Al-