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de la commission des monumens historiques qui siège à Venise, ni celle de la commission supérieure qui siège à Rome, ni celle enfin du ministre de l’instruction publique, qui décide en dernier ressort. La vérité est que, si l’agitation anglaise était légitime, elle se faisait trop tard. En effet, sur les rumeurs suscitées à Venise à la suite des polémiques locales, le gouvernement italien y avait délégué un homme de haute compétence, M. Buongiovannini. Dès qu’on lut son rapport, on comprit le danger, et dès le mois de mai dernier on, donna des ordres précis ; le projet alors était déjà bien compromis. Les Anglais ne pouvaient connaître cette décision administrative, ceux de leurs nationaux résidant à Venise qui avaient intérêt à ce qu’on ne cachât point, pour de longues années, la façade principale, ont jeté le cri d’alarme : la cause était belle, le souvenir de Byron, d’Otway, de Turner, de Ruskin a enflammé tous ceux qui ont le sentiment du beau ; on a enrôlé les personnages les plus considérables, et l’agitation est née. De plus grands mouvemens ont eu une origine plus humble, et en somme, il y avait là quelque chose de généreux et de louable, et le résultat sera considérable, non-seulement pour l’Italie, mais pour l’Angleterre elle-même, et pour la cause des monumens historiques dans tous les pays.

C’est au lecteur de conclure : il y a nécessité évidente et urgence absolue. Non, sans doute, « il ne viendrait à la pensée de personne de restaurer le Parthénon et le temple de Philæ ; » mais le Parthénon n’est plus qu’une ruine auguste, fertile en grands souvenirs, et le temple de Philæ n’est hanté que par les oiseaux nocturnes et les fellahs fiévreux qui attendent le voyageur au passage. Ici, nous sommes. Dieu merci, en face d’un monument qui a triomphé du temps, et cela, certainement, grâce aux restaurations et aux embellissemens du XIVe et du XVe siècle. On officie dans Saint-Marc, on y loue le Seigneur, "et les voûtes de ce reliquaire d’or résonnent du chant des hymnes religieuses ; la fumée de l’encens et de la myrrhe, en montant jusqu’aux mosaïques, les enveloppe d’une atmosphère chaude et parfumée qui en adoucit encore l’éclat. Et si on veut justement éviter que la basilique tombe un jour en ruines, si on veut que cette génération transmette à celle qui suivra l’héritage qu’elle a reçu à peu près intact, il faut qu’une main vigilante et exercée répare chaque jour les dommages inévitables. C’est une question de mesure, de soin, d’intelligence et d’argent, et il faut surtout, pour condition première, que la main des hommes soit moins cruelle que celle du temps.

Peut-on, oui ou non, conserver les matériaux, les déposer et les reposer sans détruire la patine ? Oui, quand les marbres ne sont pas brisés en morceaux par la dilatation des fers imprudemment