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inventeur de la « politique impériale. » Ce n’était qu’un mirage voilant l’état réel de l’opinion anglaise. La popularité de lord Beaconsfield n’était elle-même qu’une apparence, qu’une illusion. Dès l’ouverture du scrutin, les premiers résultats ont commencé à laissé voir le revirement ou l’ébranlement de l’opinion populaire, et depuis les premiers jours le mouvement est allé en s’accentuant, en grandissant. Les élections successives en Écosse comme en Angleterre n’ont été qu’une longue défaite pour le ministère. Les avantages des libéraux n’ont fait que se prononcer et se multiplier, si bien qu’à l’heure qu’il est, la majorité se trouve complètement déplacée dans la chambre des communes; elle est plus considérable aujourd’hui en faveur des whigs qu’elle ne l’était il y a quelques jours en faveur des tories. Chose curieuse! c’est la reproduction, dans un sens opposé, de ce qui se passait il y a six ans, dans les élections de 1874, par lesquelles lord Beaconsfield revenait triomphalement au pouvoir. A cette époque, en 1874, c’était M. Gladstone qui dirigeait les affaires de l’Angleterre depuis quelques années déjà. Il avait, lui aussi, une majorité considérable; il obtenait de la reine la dissolution du parlement, et il allait plein de confiance au scrutin. Il ne doutait pas du succès pour les libéraux : il se réveillait en face d’une formidable majorité conservatrice élue par le pays! Aujourd’hui c’est lord Beaconsfield qui renouvelle l’expérience après six années de pouvoir, avec plus de confiance encore, peut-être avec plus de raisons apparentes de croire au succès : il se réveille à son tour en face d’une foudroyante majorité libérale que le pays lui envoie ! Il reste vaincu et abattu sur le champ de bataille dont il se croyait le maître.

Comment s’expliquent ces étonnantes élections anglaises qui ont sûrement déconcerté bien des calculs, qui ont trompé bien des espérances à Vienne et à Berlin autant qu’à Londres même ? Ce n’est point le hasard qui préside à ces grandes consultations populaires, surtout en Angleterre. Il faut bien qu’il y ait des causes, et ces causes sont vraisemblablement assez compliquées, assez multiples. Sans doute l’ardente propagande à laquelle s’est livré M. Gladstone, les discours des chefs libéraux, de lord Granville, de lord Hartington, de M. Bright, de M. Forster, toutes ces manifestations ont pu avoir leur influence et préparer le revirement d’opinion qui vient de s’accomplir; mais les discours et les manifestes n’auraient pas suffi, si bien d’autres raisons n’avaient concouru à favoriser ce singulier coup de théâtre. Peut-être la longévité même du cabinet tory a-t-elle contribué à décider sa défaite. On se lasse, même en Angleterre, d’un ministère qui a déjà six ans de durée et qui, avec un nouveau succès de scrutin, pourrait avoir une existence indéfinie. Il n’est point impossible, d’un autre côté que lord Beaconsfield, dans ses combinaisons, ait trop peu compté avec