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bout du doigt, et la souscription pour l’achat des terres publiques présenta plus d’animation. Nous n’étions pourtant qu’au début; mais un pareil début laissait peu de place au doute sur le résultat final. On le verra par le récit de deux de ces expéditions, celles auxquelles j’ai pris part, et qui m’ont fait à la lettre passer à cheval les mois d’octobre, novembre et décembre 1878.


II.

Elles avaient toutes deux pour but de reconnaître, et de débarrasser de sauvages, les chemins qui conduisent à l’île de Choele-Choel, sur le Rio-Negro, objectif du corps d’occupation principal, centre et place d’armes de la ligne future. La première, sous les ordres du commandant Vintter, chef de la frontière de Bahia-Blanca, devait gagner le plus directement possible le Rio-Colorado et le remonter jusqu’au pic de Choyqué-Mahuida, à la hauteur de Choele-Choel. Le Rio-Colorado court presque parallèlement au Rio-Negro à distance d’une trentaine de lieues; mais en ce point, c’est-à-dire à 80 lieues environ de la mer, les deux fleuves décrivent des courbes en sens contraire, et la distance qui les sépare n’est plus que de 15 lieues. Le terrain intermédiaire est sans eau, et il faut avec des troupeaux le franchir en un jour. Aussi les Indiens ont-ils noté les avantages de cet étranglement, et plusieurs de leurs routes y viennent-elles converger. Nous devions reconnaître l’amorce du chemin de Chonle-Choel et étudier les ressources que la contrée offrait pour la caballada d’un corps d’armée. Nous avions chance de nous trouver face à face durant cette incursion avec les restes de la tribu éclopée de Catriel, qui depuis un an errait à l’aventure, quœrens quid devoret, et l’idée de lui porter le coup de grâce souriait au commandant Vintter : elle lui avait donné beaucoup de tracas, qu’il lui avait rendus avec usure.

Dès notre première journée de marche, nous avions eu déjà sous les yeux des échantillons de tous les terrains que nous devions rencontrer, et en vérité, pratiquée de cette façon équestre, dans des campagnes que la main de l’homme n’a ni fécondées ni déformées, la géologie est une science saisissante. On surprend sur le sol, encore toutes fraîches, comme on suit l’empreinte des doigts du sculpteur sur une maquette d’argile, les traces des forces qui en ont modelé la surface. On reconstruit le drame lent et majestueux de la formation de ces plateaux et de ces plaines émergeant par degrés de la mer; que dis-je, on le reconstruit? on y assiste.

Autour de petites chaînes, parfois de pics erratiques, de granit et de grès rouge, îlots d’un antique océan, s’étalent d’un jet de puissantes