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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/104

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assises calcaires. Ces massifs rayonnent, comme les cercles concentriques que forme une pierre jetée dans un lac, autour des noyaux de roches primitives qui leur servent de point de départ et recouvrent 400 lieues carrées. L’action des eaux les a sillonnées de dépressions profondes, et les falaises qui bordent ces vallées offrent à la vue les formes, les remous, les courbes à la fois symétriques et capricieuses des courans qui en ont limé les parois escarpées. Du côté oriental, les pentes latérales aboutissent sans ressaut à la mer, et les vallées sont arrosées par de petites rivières claires et babillardes, bordées de bouquets d’un saule particulier, le saule rouge, comme on l’appelle dans le pays, qui paraît originaire de ces contrées, et contemporain des cours d’eau qu’il ombrage. Du côté de la terre, les vallons ne présentent plus que la fosse encore béante de rivières défuntes. Ces cours d’eau, barrés un beau jour par la rencontre d’un cercle d’exhaussement parti d’un autre centre que celui dont ils émanaient, se sont d’abord extravasés et ont fini par disparaître en encombrant leur lit d’amas de matières d’alluvion. Les patiens ouvriers qui ont édifié de leurs dépouilles accumulées ce morceau de continent, on peut les voir encore à l’œuvre sur plusieurs points de la côte patagonienne : ce sont les mollusques. Lorsqu’on veut étudier les abords de la rade de Bahia-Blanca, si l’on se laisse emporter par l’ardeur du travail, ou par son inexpérience, dans la zone périodiquement humectée par les marées, on se trouve soudain pris jusqu’à la ceinture dans une fondrière, et l’on voit aussitôt un nombre étonnant de crabes, effrayés de l’ébranlement produit dans ces couches gluantes par votre mésaventure, courir avec une gauche agilité sur cette surface unie, brillante et perfide. C’est ce qu’on appelle d’une façon expressive un cangrejal, une crabière, mot qui ne se prononce jamais sans un mélange de respect et de dépit. Le cangrejal ne constitue pas seulement un danger pour les imprudens qui seraient tentés d’aller rêver au bord de la mer, — les rêveurs sont si peu nombreux sous ces latitudes ! — il représente surtout, pour le chargement et le déchargement des marchandises, des difficultés et des frais décourageans. Sans lui, Bahia-Blanca, où l’art ne s’est pas encore décidé à corriger la nature, serait un des beaux ports du monde, il en est le plus incommode.

Cette inconsistance savonneuse du rivage, où l’on a déjà reconnu les fâcheuses propriétés de l’argile, montre que la tâche des mollusques s’est compliquée depuis le temps où ils exerçaient leur industrie au pied de la sierra de Curumalan ou du cerro de Cortapié. Là-bas, leurs innombrables carapaces, déposées sur des grèves rocheuses, y formaient des bancs de carbonate de chaux à peu près pur. A mesure qu’on s’éloigne du terrain primitif, la proportion de