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que la détermination du gouvernement fut aussi soudaine qu’elle était imprévue. Un conseil de cabinet fut réuni, le 23 mars, dans la matinée ; le résolution de dissoudre le parlement avant Pâques y fut arrêtée, et la décision prise fut annoncée, le même soir, à la chambre des communes. Les bancs de la chambre étaient déjà dégarnis, beaucoup de députés ayant devancé les vacances. Dès que le chancelier de l’échiquier eut fait connaître la détermination du gouvernement, les députés abandonnèrent à l’envi la salle des séances pour courir au télégraphe, dont ils assiégèrent le bureau pendant trois ou quatre heures, pour prévenir leurs amis et leurs correspondans de province. Tel député expédia, pour sa part, plus de quarante dépêches dans la soirée. Le marquis de Hartington était en province ; le chef des autonomistes irlandais, M. Parnell, était aux États-Unis. Leurs amis les rappelèrent en toute hâte: grâce au télégraphe et à la vapeur, tout le monde fut de retour à son poste pour le jour du combat.

Ce n’était pas du côté de l’opposition que le désarroi était le plus complet. Sir George Bowyer, qui nous a fait connaître que la résolution du cabinet fut prise et annoncée le même jour, et qui a ainsi disculpé les ministres du reproche d’avoir usé d’une dissimulation profonde, constate la surprise que cette détermination soudaine fit éprouver aux conservateurs et l’état de désorganisation dans lequel elle les trouva. Beaucoup de députés ne s’étaient pas encore occupés de reconstituer leurs comités ; ceux qui songeaient à se retirer de la politique avaient cru prématuré d’annoncer leur résolution et de se chercher des successeurs : les candidats qui se proposaient de disputer quelqu’un des sièges occupés par des libéraux n’avaient pas encore commencé leurs démarches. Plus d’un, se voyant pris de court, renonça à faire campagne, et la plupart engagèrent la lutte dans des conditions où le succès était presque impossible.

En même temps qu’il créait à ses amis une situation des plus difficiles, le gouvernement se donnait tous les désavantages. La période la plus critique de l’hiver était passée ; mais il fallait attendre encore deux mois pour que l’Irlande fût au terme de ses souffrances. L’agriculture ne pouvait reprendre courage qu’autant que les semailles de printemps se feraient dans de bonnes conditions et que les blés d’hiver auraient bonne apparence. Enfin, le ministère était contraint de présenter le budget sans avoir aucun des bénéfices de la reprise qui se manifestait dans les affaires. Le chancelier de l’échiquier était en face d’un déficit assez considérable, conséquence inévitable de la crise qui avait frappé à la fois le commerce, l’industrie et l’agriculture. Loin de pouvoir réduire aucun impôt, il se voyait obligé d’augmenter diverses taxes et, par un choix malencontreux, il faisait peser l’augmentation la plus sensible