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sur le tabac, qui est pour un grand nombre d’ouvriers un article de première nécessité. Il aliénait ainsi une classe nombreuse d’électeurs, en même temps qu’il donnait prise aux critiques de M. Gladstone, qui avait beau jeu à comparer l’état florissant des finances sous son administration avec les déficits contre lesquels sir Stafford Northcote se débattait depuis trois ans.


II.

Dans une lettre adressée au duc de Marlborough, vice-roi d’Irlande, lord Beaconsfield détermina lui-même le terrain sur lequel la lutte électorale allait s’engager. Il plaçait naturellement au premier rang les questions de politique étrangère. Il ne faisait, en cela, que suivre l’exemple de l’opposition qui, dans les deux dernières sessions, avait complètement négligé la politique intérieure pour soulever sur les questions extérieures des discussions aussi fréquentes et aussi acharnées qu’infructueuses. Lord Beaconsfield était en droit d’invoquer l’approbation constante que le parlement avait donnée aux actes du ministère, et il demandait seulement aux électeurs de confirmer le jugement de leurs mandataires.

La lettre-manifeste touchait sommairement aux questions intérieures. A en croire le premier ministre, le maintien du parti conservateur au pouvoir pouvait seul garantir l’intégrité de l’empire britannique mise tout à la fois en péril par les radicaux, qui veulent rompre tout lien entre l’Angleterre et les colonies, et par les agitateurs irlandais, qui voilent, sous le nom d’autonomie, l’indépendance qu’ils réclament pour l’Irlande. En réveillant, par une allusion transparente, le souvenir des plaintes que les hommes de l’école de Manchester ne manquent jamais de faire entendre chaque fois qu’un crédit est demandé ou qu’une dépense est encourue dans l’intérêt de quelqu’une des colonies, lord Beaconsfield se flattait de jeter une pomme de discorde entre les radicaux et les libéraux, dont les idées sont en désaccord sur cette question. Il croyait ne courir aucun risque en prenant directement à partie les autonomistes dont la récente conduite au sein du parlement et les manœuvres en Irlande avaient été sévèrement jugées par l’opinion; il espérait que les Irlandais modérés et raisonnables, touchés de ce que le gouvernement avait fait pour leur pays, lui viendraient en aide afin de mettre un terme à une agitation dangereuse. Ce qui s’était passé dans les élections de Sheffield et de Liverpool le portait à penser qu’en Angleterre même, l’amour-propre national serait blessé de l’existence et des prétentions des comités irlandais, organisés dans tous les grands centres avec l’intention avouée de peser sur les élections anglaises.