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opposa avec une tranquille énergie : u Je mourrai plutôt mille fois, dit-il, que de me soumettre à rendre compte au peuple des résolutions de cette compagnie. »

L’impopularité, ce malheur tant redouté des assemblées et des hommes politiques, n’était pour le parlement qu’un accident très passager et de nulle conséquence. Il avait bien plutôt à se défendre de l’enivrement des ovations populaires et à se retenir sur la pente de rébellion et de révolution où la fougue de l’esprit de parti le poussait. Les historiens du XVIIe et du XVIIIe siècle, unanimes dans leurs témoignages, nous ont laissé les plus vives descriptions de l’enthousiasme qui éclatait sur le passage des conseillers lorsqu’au sortir d’une séance marquée par un acte de vigueur, ils traversaient les galeries et les cours du palais. Tout le monde battait des mains; on leur jetait des couronnes; on criait : « Vive le parlement! Voilà les pères de la patrie, les réformateurs de l’état! » En quittant la grand’ chambre, ils s’avançaient sur deux rangs dans la salle des Pas-Perdus, « où l’on se pressoit à s’étouffer; » cette marche triomphale, au dire des contemporains, « avoit quelque chose d’auguste et de saisissant. » Les démonstrations redoublaient à mesure qu’on apercevait dans les rangs de la compagnie les orateurs de l’opposition libérale et gallicane, les célébrités du vote éloquent et hardi; « on leur faisoit des cris d’applaudissement, » on les accablait de leur gloire et de l’admiration publique, au point qu’ils se cachaient les yeux et le visage avec la main pour se dérober à la vivacité de ces transports. Au mois de mars 1649, dans l’une de ces sorties du parlement, un groupe d’hommes du peuple cria : République! république ! Et comme on leur faisait observer qu’ils devaient respecter le roi et les magistrats, ses officiers, l’un d’eux répliqua : « Qu’est-ce à dire? le peuple n’a-t-il pas fait les rois, lesquels ont fait les parlemens? Il est donc à considérer autant que les uns et les autres. » Voilà, selon nous, le premier cri de : Vive la république ! qui ait retenti en France dans une émotion populaire; c’était l’année même où tombait, à Londres, la tête de Charles Ier.

Nous connaissons les conditions particulières et le milieu favorable qui ont développé l’éloquence parlementaire; le moment est venu de l’étudier en elle-même et de la caractériser d’après des documens certains. Pour atteindre ce but, il ne nous semble nullement nécessaire de parcourir du commencement à la fin l’histoire politique du parlement ni d’épuiser la série des incidens qui ont marqué sa longue lutte contre Rome et contre la cour; il nous suffira de choisir les événemens significatifs, les époques capitales, celles où les crises violentes de ce double combat, en exaltant l’énergie