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parlement, précieux à l’état, » « un grand homme, » et non un bonhomme. Son portrait en taille douce se vendait par les rues avec cette inscription : Pierre Broussel, père du peuple, et le grand support de la France. Au bas se lisaient deux sonnets, signés du Pelletier, dont voici les vers les plus frappans :


<poem>Hors ma joie, il n’est rien de si grand que ta gloire; Il faut qu’en lettres d’or on trace dans l’histoire Jusqu’où de ton grand cœur le zèle s’est porté... La plus haute vertu doit céder à la tienne, Et je n’en connois point qu’on lui puisse égaler; Des Grecs et des Romains la sagesse ancienne Revit en ta personne et te vient signaler... </ref>


Le 21 août, cinq jours avant le Te Deum et l’arrestation. Broussel ayant été député par la compagnie avec un de ses collègues vers le duc d’Orléans, on décida de lever la séance et de suspendre, lui absent, toute délibération ; il s’y opposa en disant qu’une assemblée ne devait pas, faute de deux hommes, interrompre ses travaux. « Il est vrai, monsieur, lui répondit le premier président Mathieu Molé, que deux hommes seulement nous manqueront, mais vous êtes l’un de ces deux. »

Voilà quel rang tenait Broussel à Paris en 1648 ; tel était son ascendant sur l’imagination du peuple et sur la raison du parlement. La cour ne s’y trompait pas; elle sentait que cet homme, « ce pauvre petit homme, » comme l’appelle l’amie d’Anne d’Autriche, Mme de Motteville, était une puissance, et elle le détestait en raison de la terreur qu’il lui inspirait. Le coup de partie désespéré qu’elle joua le 26 août avait pour enjeu la tête de Broussel. En le frappant, on touchait au cœur l’opposition populaire et parlementaire ; on espérait la terrasser dans son chef. « Je l’étranglerois plutôt de mes mains, » disait Anne d’Autriche à ceux qui lui redemandaient son prisonnier. Paris, en moins de deux heures, répondit par une insurrection irrésistible. Tout le monde a lu ces ardens récits de l’explosion de colère qui souleva les pavés du vieux Paris, et l’on sait comment, le lendemain, Broussel exilé revint en triomphateur, porté sur la tête des peuples, au milieu d’acclamations incroyables, au bruit d’une mousqueterie et d’une « escopeterie » continuelles, à travers douze cents barricada s élevées pour le venger. « Jamais triomphe de roi ou d’empereur romain, dit encore Mme de Motteville, n’a été plus grand que celui de cet homme qui n’avoit rien de recommandable que d’être entêté du bien public. » Nos manuscrits confirment ces descriptions et les