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réponse à cette question et nous expliquent l’influence de cet homme, sa renommée croissante, et l’enthousiasme unanime des Parisiens.

Le caractère dominant des discours de Brousse !, celui qui nous frappe d’abord et qui veut être signalé en premier lieu, c’est une doctrine de libéralisme raisonné qu’ils expriment en toute occasion et sur laquelle ils appuient, comme sur une base inébranlable, la politique du parlement. Partout nous rencontrons cette idée maîtresse, ce principe général auquel se ramènent les questions particulières, à savoir, la nécessité d’établir un contrôle régulier des actes du gouvernement, ce que nous appelons une opposition constitutionnelle. Qu’il s’agisse, par exemple, d’une question de finances et d’impôts, il ne se borne pas à dénoncer les malversations des traitans, à mettre en regard de la misère du « pauvre peuple » leur luxe prévaricateur, à montrer « ces tyranneaux » qui s’abattent sur les provinces et s’acharnent « comme des corbeaux affamés sur la ruine des familles : cadavera quæ lacerantur et corvi qui lacerant ; » il s’élève à des considérations plus hautes, il prouve que ces maux dérivent d’une même cause, l’arbitraire des ministres et le dérèglement du pouvoir absolu. « Depuis vingt-cinq ans, dit-il, on a levé illégalement sur le peuple plus de 200 millions, sans qu’un seul de ces édits ait été vérifié et enregistré ; il est temps de rentrer dans la règle et d’observer cet ordre public que tout impôt ne soit levé qu’après vérification du parlement. C’est un conseil funeste, une entreprise périlleuse pour l’état de s’écarter ainsi des formes et de violer la loi ; car si les princes se dispensent de la règle, les peuples se dispenseront du respect et de l’obéissance. » Figurons-nous ce parlement de 1648, affranchi d’une récente oppression et reprenant peu à peu, au sortir d’une longue léthargie, le sentiment de sa force et de ses droits, plein d’ardeur à la fois et d’inexpérience, cherchant à tâtons les anciennes lois, comme dit Retz, et s’évertuant à reconstituer « le sage milieu qu’elles avaient posé entre la liberté des peuples et l’autorité purement despotique ; » dans la confusion de ces problèmes séculaires, rajeunis tout à coup par la curiosité inquiète de l’opinion publique, Broussel représentait la tradition de l’esprit indépendant du XVIe siècle ; homme d’un autre âge, il faisait revivre les maximes oubliées, il évoquait les grands exemples, les nobles souvenirs inconnus ou obscurcis parmi cette génération élevée sous le despotisme de Richelieu ; il excitait, raffermissait, éclairait une compagnie longtemps tremblante et silencieuse ; il était le doctrinaire du parlementarisme renaissant.

Sa constante préoccupation, celle de tous les libéraux de l’ancienne France, est de limiter l’autorité royale sans l’affaiblir, et de