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mortales tollere contra est oculos ausus ; il n’a pu y réussir. Sans aborder le problème du vers latin[1], nous voudrions examiner ici les réformes qu’on pourrait introduire sur un terrain encore très disputé, celui de l’enseignement philosophique. Le sénat et la chambre ont pensé que l’université pourrait sans inconvénient être gouvernée par des universitaires. Ils ont introduit dans le conseil supérieur ce qu’un doyen de la Sorbonne n’a pas craint de nommer « l’élément inférieur, » c’est-à-dire les meilleurs agrégés ou licenciés de Paris ou de la province, élus par leurs pairs en raison de leurs titres et de leur expérience. C’est là, selon l’expression plus heureuse d’un ministre, l’admission du « tiers-état » dans l’assemblée universitaire. Bientôt les professeurs, encouragés par cette première victoire, se sont organisés en vue des élections ; ils ont fondé un Journal de correspondance ouvert aux propositions de candidats et aux programmes de réformes. La province ne s’est pas moins émue que Paris et « se montre même plus réformiste[2]. » Bref, on prévoit que les audaces de Rollin et de Victor Cousin seront peut-être un jour dépassées, et chacun s’efforce d’apporter à l’œuvre commune son idée ou son projet. Si c’est un titre de compétence que d’avoir, depuis l’âge de dix-huit ans, enseigné la philosophie une vingtaine d’années, du bas en haut de l’échelle professorale, peut-être nous permettra-t-on d’exposer ici sur les réformes nécessaires notre avis motivé. Nous le ferons sincèrement, au risque d’étonner parfois ou même de « scandaliser » les adorateurs de la tradition. Nous sommes de ceux qui pensent, avec les Socrate et les Platon, que l’étonnement est le commencement de toute vraie intelligence des choses, et que le « scandale » intellectuel est nécessaire au progrès ; si votre œil vous scandalise, ne l’arrachez pas ; c’est qu’il commence à y voir clair.


I.

Les pays de suffrage universel et de démocratie égalitaire ont encore plus besoin que les autres, pour la jeunesse sur laquelle repose leur avenir, d’un large enseignement philosophique, qui comprenne non-seulement la psychologie, la logique, la morale et la métaphysique, mais encore la philosophie de l’art, la philosophie de la nature, la philosophie de l’histoire, le droit naturel et

  1. Il a été supérieurement traité par MM. Michel Bréal et Jules Simon, dans leurs excellens livres sur la réforme de l’enseignement, qui sont aux mains de tout le monde.
  2. C’est du moins ce que nous écrivait l’homme le mieux renseigné sur ces questions, M. Bersot, dans une de ces lettres d’adieu qu’il envoyait à ses amis la veille de sa mort, et où il s’oubliait lui-même pour ne songer qu’aux intérêts de l’enseignement, de la philosophie, du pays.