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leurs pouvoirs. Ils s’en servirent peu à peu à balancer, puis à obscurcir, enfin à anéantir celuy des gouverneurs des provinces, des commandans en chef et des lieutenans-généraux des provinces, à plus forte raison celle que les seigneurs, considérables par leur naissance et leurs dignités, avoient dans leurs terres et s’étoient acquise dans leurs pays. Ils bridèrent celuy des évesques à l’égard du temporel de leurs diocèses, ils contrecarrèrent les parlemens, ils se soumirent les communautés des villes ; l’autorité pécuniaire s’estend bien loin, les discussions qui naissent de toutes les sortes d’impositions et de droits, le pouvoir de taxer d’office, les moyens continuels de protéger et de modifier grands et petits, de soulever et de maintenir ceux-cy contre les autres dépeupla peu à peu les provinces de ce qu’il y avoit de gens les plus considérables qui ne purent souffrir ce nouveau genre de persécution, ny s’accoustumer à courtiser l’intendant pour éviter les affronts et les insultes.

« La répartition des tailles et des autres imposts entièrement en leurs mains les rendit maistres de l’oppression ou du soulagement des paroisses et des particuliers. Quelque affaire, quelque prétention, quelque contestation qui s’élèvent entre particuliers, seigneurs ou autres, nobles ou roturiers, qui n’estant point portées aux cours de justice, l’estoient à la cour, aux secrétaires d’état ou aux finances, se renvoyèrent touttes aux intendans pour en avoir leur avis, qui toujours estoit suivi, à moins d’un miracle fort rare ; ils attirèrent ainsi à eux une autorité sur toutes sortes de matières qui n’en laissa plus aux seigneurs, ny à aucuns particuliers, dont tous ceux qui le purent désertèrent leurs terres et leurs païs pour venir peupler Paris, la cour, y voir de loin leur inconsidération et leur chutte, et tâcher de s’y faire du crédit et des protections qui les fissent ménager par les intendans. Les gouverneurs de provinces, indignés de se trouver sans cesse compromis avec les intendans pour les fonctions de leurs charges et leur considération personnelle, et dans ces débats en avoir presque toujours le dessous, s’accoustumèrent à n’aller plus dans leurs gouvernemens, d’où peu à peu il arriva qu’ils perdirent le droit d’y aller quand ils voulurent et de ne le pouvoir plus sans la permission du roy, qu’il se mit à ne presque plus accorder. Les changemens, d’ordinaire assez fréquens, de ces magistrats volans d’une généralité à une autre, rompoient les mesures et les liaisons qu’on pouvoit prendre avec eux… Cette servitude extrême compensoit leur brillant, ils tremblèrent toujours devant les ministres ou même devant leurs principaux commis, à la fin jusques devant les fermiers généraux et les gros partisans.